Si l’auteur Philip K. Dick continue encore d’attirer les productions hollywoodiennes, celles-ci ont su livrer des films cultes tirés de son œuvre comme Blade Runner, Total Recall (le film de Paul Verhoeven et non le remake de Len Wiseman) et Minority Report. Mais en parallèle, d’autres adaptations ont également vu le jour sans pour autant atteindre la même notoriété, étant tout simplement passées inaperçues (Planète Hurlante, Impostor, A Scanner Darkly) voire de qualité discutable pour certaines (Paycheck, Next). La question se pose alors : dans quelle catégorie L’Agence, tiré de la nouvelle Rajustement, se situe-t-il ?
Sur le papier, il est difficile d’adapter un Philip K. Dick, vu que l’écrivain s’est souvent attelé à l’écriture de courts récits dépassant à peine les cinquante pages. Pour donner une idée, la scène où le personnage principal se rend à son bureau et qu’il tombe nez-à-nez avec la fameuse Agence en pleine action (rajustant les collègues de bureau figés dans le temps), qui dure ici 2-3 minutes, représente à elle seule la nouvelle dans son intégralité (à quelques détails près). Le reste du film, soit 98%, n’est donc que pure invention ! Mais aux vues des autres adaptations, ce n’est au final pas un problème. En effet, le récit de Blade Runner allait dans une toute autre direction que le livre, Total Recall s’était transformé en véritable film d’action SF et Minority Report se permettait d’aller bien plus loin que la nouvelle originelle. Il n’était donc pas impossible pour L’Agence de tirer partie de la moelle même de Rajustement pour se présenter comme un très bon divertissement. D’autant plus que d’après le synopsis et la promotion, il fallait s’attendre à un passionnant thriller à la thématique plutôt riche (liberté, libre arbitre, destiné, avenir, choix…) qui fasse honneur l’univers si caractéristique de Dick. Mauvaise pioche !
Alors que L’Agence avait toutes les cartes en mains, le réalisateur/scénariste/producteur George Nolfi se plante haut la main avec cette adaptation ! Car si le long-métrage tend constamment vers le thriller, notamment avec la photographie de John Toll (qui rend les décors new-yorkais impressionnant mais inquiétant), cette teinte grisâtre bénéfique à une ambiance sombre qu’arbore l’ensemble et certaines situations du scénario (comme des courses-poursuites), c’est plutôt une comédie romantique qui s’offre à nous. Oui, vous avez bien lu : L’Agence est une comédie romantique ! Regardez le film, il y a des signes qui ne trompent pas : un script constamment appuyé sur la romance des protagonistes, une musique trop légère, un montage aussi énergique que dans une comédie, une ambiance à l’eau de rose… bref, nous sommes bien loin du thriller tant annoncé, devant nous contenter d’un long-métrage hollywoodien au possible, à savoir sans âme, niais et classique malgré le concept scénaristique de base. Le happy end moralisateur clôturant le film apparaît comme la goutte d’eau faisant déborder le vase !
De là à dire que L’Agence soit un mauvais film, par contre, serait un constat très excessif. Et pour cause, ce dernier possède quelques atouts, outre une très bonne filmographie, qui puissent maintenir un quelconque intérêt. Comme l’histoire d’amour en elle-même, sur le fond assez belle. Ou encore le duo d’acteurs principaux formé par Matt Damon et Emily Blunt, qui s’en sortent honorablement en faisant croire à leur idylle. Sans oublier quelques effets spéciaux de bonne qualité qui permettent de maintenir l’illusion entourant cette fameuse Agence (les scènes où les personnages switchent entre différents lieux rien qu’en poussant une porte). Mais quand on nous promet un thriller SF sur le papier complexe, on ne s’attend pas à s’ennuyer, à avoir des thématiques qui ne dépassent pas le statut de simples répliques et à se retrouver face à un suspense sans aucune efficacité (l’existence de l’Agence est mise à jour dès les premières minutes du film, c’est pour dire !). Et malgré ses qualités non négligeables, le long-métrage de George Nolfi déçoit grandement rien que pour cela.
Une adaptation qui fait pâle figure à côté de Blade Runner et consorts, L’Agence gâche un potentiel qui aurait pourtant pu le hisser à la hauteur d’un Inception. Le film passera malheureusement par la case « vite oubliable », et ce malgré la présence de Matt Damon au casting. Si vous voulez avoir une meilleure histoire, penchez-vous plutôt sur la nouvelle Rajustement, qui se suffit amplement à elle-même, ayant les qualités d’écriture et de structure négligées par ce long-métrage.