Les regards sont tous tournés vers le nouveau Star Wars en cette fin d'année, pourtant les studios n'hésitent quand même pas à lancer sur nos écrans quelques grosses cartouches pour ce dernier mois. Preuve en est avec le magnifique Steven Spielberg, Le Pont des Espions, et le Ron Howard, AU CŒUR DE L'OCÉAN. Si le premier est un grand réalisateur qu'on n'oserait contester, le second a tout du faiseur sans grand talent capable de quelques rares sursauts filmiques réjouissants mais, surtout, de projets tout juste passables. Dès lors, comment doit-on appréhender AU CŒUR DE L'OCÉAN ? Du grand spectacle nous contenterait ou peut-on en attendre plus de sa part ?
C'est un drôle de film que livre Ron Howard, perdu entre plusieurs intentions dont l'illustration la plus flagrante est la construction du film, en trois parties. Raconter l'histoire sous forme de flashbacks n'a aucun autre intérêt que mettre en lumière brièvement le goût de Ron Howard pour les histoires, dans ce qu'elles ont de plus nobles et de plus populaires. Le réalisateur aurait pu utiliser ce premier versant de son film pour mettre au point un jeu sur le point de vue du souvenir, comme par exemple émettre le doute sur ce que raconte Nickerson (ne dit-il vraiment que la vérité ? Omet-il des choses ?). Idée qu'il abolit d'emblée, préférant la neutralité. Les incessants aller-retour à ces scènes entre Brendan Gleeson et Ben Wishaw entravent le rythme et n'apportent absolument aucun plus a l'intrigue. On aurait pu s'en passer aisément, le résultat aurait été le même - voir un poil mieux. Puis à quoi bon prendre deux acteurs de cette trempe pour ne rien leur donner à jouer ? A ce titre, le plus gros gâchis du casting est Cillian Murphy, formidable acteur convoqué pour jouer un second rôle sans épaisseur, dont le seul trait significatif est qu'il a décidé d'arrêter de boire. Son lien fraternel avec le personnage de Chris Hemsworth n'existe quasiment pas, on ne sent pas cette connexion qui aurait pu être puissante vu la tournure du film dans sa seconde partie.
L'aventure en flashbacks se découpe en deux parties, la première étant orientée film d'aventure et la seconde plus tournée vers le survival. Ce sont deux films auxquels nous assistons et à choisir, on opte pour le premier qui a la décence d'être bien rythmé. On suit notre petite troupe à la chasse aux baleines et c'est l'occasion pour Ron Howard de proposer quelques moments de bravoure. Hélas, sa mise en scène ne se hisse jamais a la hauteur de l'enjeu. Le découpage, les angles, le montage, il y a toujours un accroc qui vient perturber l'instant. On sort de la salle avec trop peu d'images en tête à cause de cette mauvaise gestion de l'action. L'erreur la plus fatale est d'éclipser l'immense baleine, seule véritable attraction lorsque la caméra prend de la hauteur et met en perspective la grandeur du monstre avec celle des hommes. Le film n'est pas aidé par sa direction artistique qui sent le faux à plein nez et qui n'arrive pas à exprimer une personnalité inédite. Elle est finalement en accord avec la mise en scène d'Howard, sans réelle ligne de conduite, totalement éparpillée. De plus l'écriture des personnages ne nous permet jamais de nous attacher à eux. L'instauration du suspense ne peut que tomber à plat si le spectateur se fiche du destin des protagonistes. C'est à cause du scénario que la faiblesse de la mise en scène nous saute aux yeux. Et, cerise sur le gâteau, Ron Howard nous balance toutes les deux minutes un incompréhensible plan hideux au grand angle, dont l'utilisation récurrente est aussi douteuse visuellement que symboliquement.
La partie chasse fait boiteusement illusion en terme de divertissement tandis que la partie survival est un supplice à suivre. L'idée courageuse du récit est de donner dans l'anti-spectaculaire, dans la survie centrée sur l'humain. Alors, oui, dans le cadre d'un blockbuster, on salue l'initiative de vouloir dériver du schéma classique qui veut qu'on passe par un grand affrontement dans la dernière partie. L'idée serait bonne si seulement les personnages étaient intéressants. A l'exception vaguement de Owen Chase (Chris Hemsworth) et du kid Nickerson (Tom Holland), on ne développe aucune attache avec le reste du casting qui peut tout aussi bien mourir que ça nous laisserait dans l'indifférence la plus totale. Voilà un énorme souci sachant que le film reste une bonne partie sur eux alors qu'ils voguent, en perdition, sans réels événements marquants. Face au calvaire qu'ils endurent, le film se refuse même à aller dans les questions épineuses de la survie (le cannibalisme, la folie...), en les effleurant sans s'y confronter frontalement. Étonnement, il recule alors que la première partie était moins timide lorsqu'il fallait envoyer un blanc bec dans les entrailles d'une baleine morte. Une surprenante scène, brève mais dérangeante, qui aurait pu être un avant-goût du malaise qui allait s'emparer de la seconde partie du film.
C'est un mal récurent qui s'empare du long-métrage, où des choses sont esquissées mais jamais abordées. Un amas d'éléments s'accumulent et rien n'est fait avec conviction. Un peu de politique dans les 10 dernières minutes qui tombe comme un cheveux sur la soupe, un discours sur la violence des hommes qui n'émet aucune force, un aspect survival édulcoré, des acteurs sous-exploités, un monstre trop caché, des scènes ne demandant qu'à être sublimées qui ne sont pas aidées par la réalisation, voilà autant d'éléments qui tirent ce blockbuster vers le bas. On n'attendait rien de fameux de ce cher Ron Howard et on n'a rien eu d'excitant. Au cœur de cet océan de sorties hivernales, on aura vite fait de zapper cette aventure maritime qui passe à côté de tout son potentiel.
Critique par Maxime, pour Le Blog du Cinéma