Un film exceptionnel sur le conflit du Darfour. Nous sommes dans le camp de Gouroukoun, à la frontière est du Tchad, région inaccessible où le réalisateur suisse Olivier Zuchuat a passé deux mois. 13 000 personnes sont réfugiées sur 5 km2 : ce sont des Dajos, ethnie tchadienne qui a été chassée de ses villages par les milices janjaweeds, armées de kalachnikovs par le gouvernement soudanais et alliées aux Arabes. Tout le monde a oublié les Dajos, à commencer par le gouvernement tchadien et à l’exception d’une aide humanitaire qu’ils ont dû attendre pendant quatre mois. Le camp n’est pas clos : mais à 40 km la guerre fait rage. Ils sont rassemblés là, avec leurs souvenirs des massacres auxquels ils ont assisté et des proches qu’ils ont perdus.
On les voit vivre, dans la lenteur hypnotique de la chaleur sahélienne et de l’attente d’une solution. Les huttes de branchages et d’herbes, les femmes en voiles multicolores, les hommes en blanc, les petits ânes qui portent les bidons d’eau, les enfants aux chants et aux dessins obsédés par la guerre. Les femmes qui balaient, pilent le mil, vont chercher des fagots de bois pour les vendre, abattent de grosses branches. Les hommes qui palabrent, prient, négocient un mariage, enterrent un vieux qui vient de mourir. La courtoisie très grande qui règne entre ces êtres dénués de tout.
Olivier Zuchuat a réussi un tour de force : faire un film sur la guerre sans jamais la montrer. La guerre est dans le mode de vie auquel sont contraints ces réfugiés. Elle est aussi dans leurs récits. Sans jamais d’intervention, de voix off ni de commentaire, on voit des femmes et des hommes prendre la parole avec une netteté et une dignité impressionnantes. Ils sont assis, filmés en plan fixe, et regardent la caméra – sauf celui que les Janjaweeds ont aveuglé avec son propre couteau. Ils racontent, ils ne se plaignent pas.
Tour de force aussi, la qualité des images, sans esthétisme ni pathos, et la délicatesse très grande de l’écoute.