La figure de l’anti-héros a tellement imprégné le cinéma américain qu’il est tout à fait normal que les grands studios chargés des adaptations de Marvel et de DC s’en soient emparés. Mais la violence et le vice inhérent à ce dernier posent sans cesse problème aux producteurs, qui doivent maintenir un degré d’acceptabilité pour continuer à toucher un large public. Pour outrepasser cette barrière morale, certains films comme "Deadpool" ont tout misé sur un humour gras, mais honnête. D’autres, autrement plus ambitieux, ont opté pour la profondeur et le réalisme. Ce fut le cas de la trilogie "Batman" de Nolan, qui a su redonner ses lettres de noblesse à l’emblématique Chevalier Noir de DC. L’occasion de faire le point sur un film censé explorer la face méconnue de certains méchants de l'univers DC Comics. Comme l’a très bien relevé Vincent Manilève dans un récent article publié sur Slate, "Suicide Squad" a tenté les deux approches. D’abord dévoilé comme un film noir et sérieux, le long-métrage s’est peu à peu transformé en un objet pop et acidulé, censé mettre en lumière des figures "déjantées et fun" de l’univers DC. Et même si l’interventionnisme des studios américains semble une nouvelle fois avoir frappé, le film de David Ayer ne réussit ni l’un, ni l’autre, car le film est un suicide scénaristique. La filmographie du réalisateur avait pourtant l’air adaptée au genre en question. Déjà auteur des solides "End of Watch" et "Au bout de la Nuit", l’américain semblait même avoir imprimé sa patte avec le balourd mais néanmoins honnête "Fury". Des films qui alliaient tous simplicité et dynamisme, deux éléments effectivement primordiaux pour un film de super-héros. Après trente minutes de film, on se rend compte que cette formule n’est pas respectée. David Ayer filme certes de manière académique, mais l’écriture fait plonger le film dans un abysse de médiocrité. Dans ce film, une équipe de super-vilains timorée est manipulée par le gouvernement pour une mission suicide contre un ennemi "aussi énigmatique qu’invincible". Ce scénario pour le moins léger ne sert qu’à présenter des protagonistes dont l’histoire est à peine effleurée. Une déception quand on voit le casting embarqué. Chaque protagoniste est réduit à un gimmick physique ainsi qu’un pouvoir. Les micro-flashbacks de Harley Quinn et DeadShot n’apportent d’ailleurs pas plus d’épaisseur aux personnages. L’utilisation du mannequin Cara Delevingne frise le ridicule. La jeune femme, qui incarne l’Enchanteresse et accessoirement la véritable antagoniste du film, ne convainc jamais un instant. En faire un des éléments principaux de la trame finit de transformer le script en un gloubiboulga insultant pour les fans, et pour tous les amateurs de cinéma. L’arrivée en renfort de Katana, une super ninja au milieu des crocodiles et des clowns, fait d’autant plus ressortir ce patchwork insensé, que le dessin avait pourtant réussi à créer. La figure du Joker, montrée de plus en plus fréquemment dans les trailers, laissait néanmoins espérer quelques discours bien sentis. Jared Leto n’a rien à prouver, mais sa prestation n’est hélas pas marquante. Grimé à outrance, on ne le voit que très furtivement, à la manière d’un guest star enrôlé pour finir de convaincre les indécis. Jack Nicholson et Heath Ledger peuvent dormir tranquilles. Le sourire et l’enthousiasme de Margot Robbie n’y feront rien. On peut certes déplorer le découpage chaotique du film, qui a été retravaillé à la demande de la Warner, mais il ne fait que souligner la récurrence abusive de chaque séquence. Chaque altercation est précédée d’une brève conversation qui se termine par une petite blague pas toujours efficace. Un bon moyen de préserver l’atmosphère détendue et la coolitude forcée vendue à longueur d’affiche, et entretenue grâce à une bande-son adéquate. Ce procédé est pourtant connu, et marche d’ailleurs très bien auprès des plus jeunes. Un montage parfait n’aurait pas réussi à colmater le profond manque de liant du scénario. C’est d’autant plus gênant que cela fait perdre de l’intérêt aux différentes phases de combats plutôt bien chorégraphiées, qui émaillent le long du film. "Suicide Squad" est donc une énorme déception, mais ne doit pas scinder la critique ou même les cinéphiles dans leur majorité aux amateurs d’adaptation de comics. En se sentant protégé par le syndrome de Stockholm cinématographique qui touche parfois ces derniers, les studios s’imaginent exempts de tout reproche. Mais que les fans ne s’y trompent pas, ce sont bien d’eux dont on se moque. Caché derrière son gigantesque écran de fumée rose et ses couleurs épileptiques, "Suicide Squad" laisse un goût plus qu’amer dans la bouche. Mal monté, mal écrit, il se contente d’empiler un tas de protagonistes sans réelle saveur en avançant masqué sous ses attributs pops et branchés. Mais la dictature du cool ne peut pas faire oublier l’indigence d’un scénario absurde, qui prend décidément le spectateur pour un suicidaire. Si la bande-annonce envoyait du lourd, annonçant un film d'action fun et bourré d'humour, avec des anti-héros badass à souhait, le film est une des plus grandes déceptions de l'année. David Ayer semble avoir piétiné tout ce qui donnait du sel au film, pour livrer une adaptation anonyme et consensuelle au possible d'un comics, s'inspirant ouvertement des Marvel. Le film pêche par l'absence de scénario, l'inexistence de développement concret des différents membres de l'unité et l'absence d'un quelconque enjeu. Mention aux dialogues écrits par des collégiens, aux blagues lourdes, et aux improbables caméos inutiles (le Joker pour ne citer que lui). À aucun moment les personnages n'apparaissent retors, amoraux ou dangereux. Ils veulent tous se marier et élever leurs enfants et vivre la vie ordinaire d'un Américain moyen. Le pire vient dans l'apologie des valeurs puritanistes délivrées par le personnage de DeadShot incarné par Will Smith qui semble transformer les pires criminels de l'univers Batman en gentils bisounours avec des romances sorties de nulle part. Même l'action est ratée, et Dieu sait si le réalisateur, qui avait réussi l'exploit de renouveler le film de guerre avec "Fury", se prend les pieds dans le tapis. Car dès que les petites et caricaturales présentations des personnages sont terminées, l'assaut de l'équipe sur la ville envahie par des zombies/extraterrestres/Godzilla/monstres devient le moment le moins intéressant du film, soulignant l'inexistence de rythme, l'incohérence des différentes séquences et l'absence de tout semblant d'unité au film. Par moments, on a le sentiment que chaque séquence a été tournée par des réalisateurs différents, qui n'avaient pas le même script ni la même vision des personnages ou du déroulement de l'action. La mise en scène n'est pas avare en clichés (ralentis lors du sacrifice final), combat entre un demi-Dieu et des petites frappes qui sont en fait des braves types incompris par la société... Seuls les effets spéciaux et le budget du film nous font oublier le temps de la séance les tares de la série Z que nous avons avalés pendant 2 heures. Ce blockbuster poussif et faussement mature nous a été pondu par quelques commerciaux de la Warner, voulant surfer le plus maladroitement et rapidement possible sur le succès des adaptations de comics des concurrents. Démarche marketing, absence d'ambition artistique, d'originalité ou d'un frémissement d'intérêt cinématographique, tout est à jeter ou presque. Il n'y a pas grand-chose à sauver de ce naufrage qu'est "Suicide Squad", même s'il arrive à faire illusion auprès de certains. Là où on attendait un minimum d'originalité au vu du matériel de départ, le film se contente de copier une recette interchangeable qui vaut pour les méchants de "Suicide Squad" comme elle vaudrait pour n'importe quelle équipe de super-héros. Ceux qui s'attendaient à quelque chose d'un peu original, voire même couillu, peuvent repartir aussi sec : tout ici est aseptisé au possible, y compris la relation pourtant cruciale (mais ici sans aucune valeur ajoutée) entre Harley Quinn et le Joker. Normalement extrêmement abusive, cette relation est ici totalement policée. Quant aux liens (plus proches du fan-service qu'autre chose) avec l'univers étendu, ils ont une plus-value proche de celle d'un spot TV de 15 secondes (une pose et une punchline et voilà). Tout cela se fait aussi en dépit de tout sens du montage rythmé, avec ces flashbacks tombant comme du plomb aux endroits les plus improbables. La palme revient probablement à la séquence avec Killer Croc dans les égouts, absolument et totalement illisible. Les acteurs s'en donnent à cœur joie de jouer l'émotion unique : Margot Robbie varie un peu mais compose avec un personnage sans aucune cohérence, mais Will Smith est totalement transparent, Cara Delevingne est insupportable de nullité. Quand Jai Courtney sort presque positivement du lot, c'est qu'il y a de très gros soucis à se faire. L'histoire tourne à vide au bout de 45 min, nous obligeant à subir littéralement 2 fois le même sauvetage tellement le film tourne en rond. Le Joker est une pièce ajoutée qui débarque n'importe comment et sort du film pendant 40 minutes sans que ça ne choque personne. En même temps, vu le jeu de Jared Leto et le niveau du personnage (un espèce de gangster "thug life" zozotant bling-bling torse-poil sous son imperméable), c'est peut-être mieux ainsi. Ne reste à sauver qu'un tout petit pourcentage de blagues qui font mouche et un très joli plan du Joker et Harley Quinn (au passage, très bonne prestation de Margot Robbie qui s'éclate dans son rôle de Harley Quinn, sans doute le meilleur personnage du film, celui qui vole la vedette à tous les autres, mais qui reste un personnage stéréotypé un peu trop réduite à son statut d'objet sexuel) s'embrassant dans une cuve. Finalement, en cherchant à rattraper Marvel Studios, DC et Warner ont surtout joliment copié sa médiocrité générale, mélange d'incompétence technique et scénaristique. Finalement, le seul personnage réussi est celui d'Harley Quinn, encore plus folle que le Joker (alors que ce devrait être l'inverse...). Bref, une étoile pour le personnage de Harley Quinn (dont c'est la première apparition au cinéma) et l'interprétation de Margot Robbie, mais cela reste un film extrêmement décevant, surtout au vu du potentiel qu'il aurait clairement pu avoir