Très cher DCEU : lâchez l'affaire, s'il vous plaît ; c'est fini, c'est foiré.
Honnêtement, à ce stade, le savoir-faire dans l'art de gâcher de façon aussi systématique de bons ingrédients dans des films foutraques et boursouflés, ça devient une prouesse. Warner devrait ouvrir une école pour enseigner ce qu'un studio ne doit surtout pas faire, parce que là, ils alignent à peu près toutes les conneries possibles et imaginables.
Faut le dire de suite : le seul truc présentant un quelconque intérêt dans ce foutoir, c'était de voir interagir le Joker et Harley – donc autant dire que, passée l'introduction relativement plus punchy que ne l'est le reste, quand tu comprends que l'essentiel du film va consister à voir une bande de seconds couteaux sans intérêt foutre sur la gueule à une armée de limaces noires humanoïdes (représentant dans leur ensemble le même danger qu'un bataillon de stormtroopers, à peu de choses près), le tout afin d'empêcher une déesse vaudou faisant office de grand égout à cgi dégueulasses de détruire l'humanité (oui, oui, de détruire l'humanité... si c'est pas affligeant), ben voilà, quoi : t'as vite fait de déchanter.
Pour ce qui est du Joker et d'Harley – histoire de mentionner là où, même gâché, on sent le potentiel que ç'aurait pu exploiter – le pan reste anémique, bâclé de façon affligeante, le film se contentant d'expédier en express tout ce que l'on sait déjà du couple, sans rien y apporter de neuf ni rien approfondir... Si quelqu'un, donc, espérait voir Harleen Quinzel devenir Harley Quinn sous l'emprise de Mr J, regarder opérer le charme, approcher la folie, contempler l'abîme, sans surprise il en sera pour ses frais. Le Joker en gangsta et Harley qui minaude, en revanche, ça, il y a, on est servi ; et en prime, il faut le dire, Jared Leto et Margot Robbie sont purement, absolument parfaits pour les rôles – ce qui augmente d'autant la frustration de voir lesdits rôles aussi mal écrits et survolés : pondez un scénario qui les traite dignement, et sur ce parti pris punks urbains déglingués, Robbie et Leto feront quelque chose de mémorable !
Mais en l'état, le parti pris punk urbain, comme à peu près tout le reste de ce film, n'est que de l'effet de style avec rien dans les tripes : on a le Joker qui bute des types pour montrer qu'il est méchant, en sortant bien ses dents pourries pour montrer qu'il est crade, en s'esclaffant à l'envi pour montrer qu'il est dingue, mais les types qu'il bute sortent de derrière les fagots juste pour se faire buter, on ne sait pas qui ils sont, ils ne représentent rien, donc on s'en fout ; on nous montre qu'il a torturé Harley, mais on ne sait rien de leur relation à ce stade, ni de ce qui l'y pousse, ni de la nature du traumatisme que cela engendre chez Harley, et la scène doit durer douze secondes à tout péter, donc on s'en fout ; plus tard, on les retrouve en train de se jeter tous les deux dans une cuve de produits toxiques, mais une fois de plus la scène sort de nulle part, déconnectée de tout contexte qui la justifie, purement arbitraire, donc, et lesdits produits toxiques pour couronner le tout laissent les personnages après la cuve dans le même état où ils y sont entrés, donc devinez quoi : bah, on s'en fout. Il n'y a pas de personnages, il n'y pas d'émotion, pas d'enjeux, pas de danger... comme je disais : de l'effet, sans rien dans les tripes.
Alors à la rigueur, il y a David Ayer qui essaie de se faire plaisir, du côté toujours de l'esthétique punk exubérante, avec ses saillies de rose et de violet, ses syncopes et son mauvais goût brandi en banderole. Et à vrai dire, c'est relativement sympa... mais ça dure quoi ?... la première demi-heure du film, à tout casser ? Puis aussitôt, l'on retombe dans le truc le plus aseptisé du monde, avec toute sa batterie d'effets numériques lisses, de ralentis hideux et de scènes d'action hachées menu pour faire croire au semblant d'intensité désespérément absent. Et ce n'est pas le fait d'ajouter par-dessus le tout la compil' des "dix morceaux de rock que tu ne peux pas ne pas avoir entendu cent-cinquante fois dans ta vie" qui change quoi que ce soit à l'affaire. À nouveau : du style, pas de tripes.
Pour faire simple et résumer la débâcle du DCEU – et, plus encore que la débâcle, d'ailleurs, la vaste déception occasionnée à chaque fois – il faudrait cibler, je crois : des directions artistiques prometteuses sabordées par des scénarios pourris, du charcutage infâme en salle de montage, des changements de pied à répétition au cours du processus créatif et un poids écrasant de la stratégie d'univers partagé, rushée n'importe comment, au détriment complet de l'intégrité respective des films. On se retrouve par conséquent avec ces trucs informes et bordéliques qui passent leur temps à s'annoncer les uns les autres au lieu de se préoccuper de raconter quelque chose et de développer des personnages, en les faisant simplement évoluer d'un point à un autre avec un enjeu dramatique fort et, si possible, l'émotion qui en découlerait. Ici, chaque scène doit durer une minute, deux au maximum : rien n'est développé, rien ne prend jamais d'importance ; d'où pourrait sortir l'émotion ?
Et même si, en la matière, je continue à me demander à quel point les manquements béants sont le fait des scénaristes et à quel point le fait de ce que le studio inflige après coup aux scénarios, toujours est-il que voir une si colossale machine à fric s'accommoder de tares scénaristiques aussi flagrantes – flashbacks inclus de façon aléatoire et désarticulée ; scènes humoristiques surajoutées qui se grillent de suite ; dialogues honteux, qui semblent avoir été rédigés par un générateur de répliques automatique, du fameux : « Oh, oh ! on a de la visite ! », au : « C'est fini, Deadshot ! ne me force pas à faire ça devant ta fille ! », en passant par l'éternel : « Tu t'en es pris à mes amis ! » [si ça, c'est pas une réplique de super vilain, je sais pas ce qu'il faut !] – c'est tout de même assez ahurissant, ne serait-ce que d'un point de vue cyniquement commercial, pour ne pas parler du désastre artistique...
Bref, une fois encore, j'ai voulu y croire. Une fois encore, j'y suis allé la bouche en cœur, prêt à faire le "bon public" pour peu que ça ait quelque chose à proposer, quoi que ce soit, un tant soit peu de personnalité... Et une fois encore, c'est minable. Remarque, vu la tronche que tirent les bandes-annonces des prochains, je crois que je serai vivement dissuadé de me remettre à espérer.