S’il y a une qualité qu’on peut reconnaître à Michael Moore, c’est bien la constance qu’il manifeste depuis ses débuts en 1989 avec « Roger et moi », et qu’il confirme une nouvelle fois dans son dernier film. Constance tout d’abord dans le choix de ses cibles, avec une prédilection pour Ronald Reagan, Georges W. Bush et General Motors, coupable du pêché originel, à savoir la fermeture de l’usine paternelle à Flint, Michigan, et que l’on retrouve tous ici.
Constance aussi dans la forme très particulière de ses documentaires, où le réalisateur induit la perception du spectateur à l’aide du télescopage d’archives, de reportages et d’interviews, de la place envahissante des greatest hits de la musique classique (Beethoven, Orff, Elgar) et de le mise en scène de son propre personnage pour apostropher les méchants.
Disons le clairement, son dernier opus ne déroge pas à ces façons de faire, ce que Michael Moore revendique d’ailleurs clairement : « Depuis « Roger et moi », tous mes projets ont été traversés par une sorte de fil rouge, des enjeux communs. « Capitalism : a love story » n’est pas seulement un prolongement, c’est une forme d’aboutissement, un point culminant de mon travail. »
Comme chaque fois, il touche juste quand il dénonce les aberrations du système auquel il s’attaque, avec sa capacité à dégotter des illustrations frappantes de son propos ; après les pompiers du 11 septembre privés de soin dans « SiCKO », il nous fait découvrir les contrats du « paysan mort », une assurance prise par les grandes compagnies sur la vie de leurs employés à leur insu, qui rapporte quelques millions de dollars aux trusts et zéro cent à la veuve, ou encore la privatisation d’une maison de redressement qui, rentabilisation oblige, envoie au gnouf pour plusieurs mois des ados coupables d’avoir balancé un steack lors d’un repas de famille ou de s’être disputé avec leur copine.
Alors que « Fahrenheit 9/11 », destiné au public américain, enfonçait des portes ouvertes depuis longtemps pour des spectateurs du Vieux Continent, « Capitalism : a love story » éclaire des aspects peu connus de la société américaine, comme les coopératives ouvrières, les pilotes de ligne si mal payés qu’ils doivent vendre leur plasma, ou le renouveau des occupations d’usines.
Mais on retrouve aussi les limites du manichéisme de Moore dans ses coups de cœur. Après la glorification de la sécu française et l’apologie de la gratuité des soins à Cuba dans « SiCKO », il termine son film avec ce qu’il appelle « la vague du peuple », l’élection d’Obama. « Ce soir-là, on a dit adieu à la vieille Amérique », proclame-t-il. Pronostic aussi imprudent et naïf que la décision du jury Nobel : pas sûr que d’ici quelques années, Michael Moore ne soit pas obligé de reprendre sa caméra et de retourner à Flint pour constater les dégâts futurs du capitalisme U.S.
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