Un de ces films historiques en costumes, raffinés et instructifs, dont les anglais ont le secret (Elisabeth, La folie du roi Georges....) Tout faux! C'est un danois, Nikolaj Arcel, qui s'y est collé -et c'est une merveille. Tant d'intelligence alliée à tant de beauté, c'est un bonheur de cinéma comme on n'en éprouve pas souvent.
La princesse Caroline Mathilde d'Angleterre est mariée au jeune roi du Danemark, Christian VII. Disons tout de suite que la suédoise Alicia Vikander, non seulement est une beauté, mais incarne son rôle avec une justesse, une absence d'effets, une vérité qui font de cette inconnue une actrice de premier plan.
Caroline arrive au Danemark avec beaucoup d'enthousiasme. Hélas! le promis est un crétin, doublé d'un coucou. Dès le repas de noce, dès la nuit de noce, c'est le désastre annoncé. En fait, Christian était il si fou que cela? Elevé par une belle mère, Juliane (Trine Dyrholm), qui le haïssait et pensait bien mettre son propre fils sur le trône, et par un précepteur sadique, le malheureux garçon s'était sans doute réfugié dans la débauche pour échapper à ce métier de roi qui ne lui plaisait pas du tout. Et puis, sa faiblesse mentale bien entretenue lui permettait d'être complètement sous la coupe du Conseil des Ministres, qui détenait le vrai pouvoir, manipulé par la forte personnalité de Gulberg (David Densik). Rien de plus difficile que d'interpréter un coucou sans tomber dans la démesure ou le ridicule. Mikkel Boe Folsgard (qui parfois nous rappelle Tom Hulce dans Amadeus, sauf que, évidemment, Mozart n'était pas piqué....) s'en tire très bien.
La cour, en cette fin du XVIIIeme siècle, est parfaitement rétrograde, bien loin de l'ouverture d'esprit qui pouvait régner en Grande Bretagne. Caroline aime lire; elle a entendu parler des philosophes, et s'y intéresse. Mais ses livres sont confisqués, et sa dame d'honneur trop libérale est congédiée. Elle est très seule, quand arrive dans sa vie le médecin allemand -il y avait beaucoup d'allemands à cette époque au Danemark-, Johann Friedrich Struensee. C'est que la cour, qui commence à s'inquiéter des débordements du souverain, a l'idée de lui adjoindre un médecin personnel, destiné à le suivre comme son ombre. Struensee est libre penseur, et même athée. Il rêve de l'avènement du monde des philosophes. Son discours, dénué de morale, plaît au jeune souverain. Struensee est embauché. Il agace, au début, Caroline, parce qu'il accompagne le roi au bordel, et puis, elle trouve chez lui un livre de Rousseau, ils se parlent, s'apperçoivent qu'ils ont les mêmes ambitions sociétales, puis, qu'ils se plaisent... Mads Mikkelsen, avec sa tronche de méchant de western (par ailleurs, il est plus velu qu'un gorille des montagnes) n'est, certes, pas beau. Mais quel charisme!
Petit à petit, Struensee prend complètement possession de l'esprit faible de Christian. Il lui prépare ses interventions au Conseil des Ministres. Le roi reprend du pouvoir. Ensemble, il préparent des réformes. Ils imposent la vaccination anti-variolique; ils créent des orphelinats pour recueillir les enfants illégitimes. Ils limitent les châtiments corporels, abolissent la torture, prennent de l'argent à la noblesse. Voltaire, même, le grand Voltaire, écrit à Christian VII pour lui dire son admiration! Au cours d'un véritable putsch, le roi dissout son conseil des ministres et va gouverner seul -c'est à dire que Struensee va gouverner seul, se faisant même donner la signature royale.... Le Danemark est désormais le pays qui règne suivant les Lumières...
Quelle histoire! quelle histoire! L'histoire nous offre parfois de ces scénarios que l'imagination n'oserait composer. Évidemment, tout ça va finir mal, mal pour l'amoureuse Caroline qui va être exilée en résidence surveillée, privée de ses enfants (y compris la petite Augusta, pourtant manifestement illégitime). Et Struensee, exécuté, contre la volonté de Christian qui s'en fichait pas mal d'être cocufié, surtout par une femme qu'il appelait "maman" et qu'il n'aimait pas, pourvu qu'il garde son seul ami. Le seul à avoir partagé quelque chose avec lui, et l'avoir associé à un rêve bien trop grand pour notre coucou.
Quel regard porter sur Struensee, prêt à tout pour pouvoir mettre en oeuvre ses utopies humanitaires? Comme tous les idéologues, il avait un manque total de scrupules. Et n'a pas été très élégant en abusant de la confiance de celui qui lui vouait un attachement sans réserves. En tous cas, il s'est perpétué au travers de la figure du fils (légitime, lui) de Christian, Frédéric VI dont le long règne fut d'abord marqué par des réformes très libérales, comme l'abolition du servage. Ensuite, le pauvre Danemark devait bien souffrir d'avoir pris le parti de Napoléon, mais ceci est une autre histoire.
Dans ce film passionnant, tout est beau, tout est raffiné, tout est élégant; la décoration du palais, la campagne danoise qu'ils parcourent à cheval, autour de la résidence d'été, les sublimes robes de Caroline. Ce film est un bonheur visuel comme un bonheur intellectuel. A voir toutes affaires cessantes!