Cronenberg étonne, Cronenberg fascine, Cronenberg passionne. Au fils de ses différents films, le réalisateur canadien s’est créé un style à part et dissociable de celui de ses pairs en tous points. Singularité, noirceur et surtout magnétisme sont les maîtres mots de ses films, et encore plus de Cosmopolis. Adapté du célèbre roman de Don DeLillo, le long métrage est tout d’abord une vigoureuse critique du capitalisme, le présage d’un cauchemar où l’argent sera maître, où la crise économique sera le quotidien d’un monde en perdition. Le film évolue dans un univers sombre et dérangeant, les citoyens de New York sont sauvages, se sentent délaissés, un sentiment d’étrangeté nous envahit.
Et c’est bien sur ce point que Cosmopolis divise, désarçonne et laisse perplexe : c’est un objet étrange, un OVNI inclassable. Le fond du film est complexe : l’économie, la crise, la remise en cause de son existence par le personnage principal, un voyage initiatique et psychologique. Nous suivons les péripéties de Robert Pattinson interprétant un jeune milliardaire déconnecté de la réalité, une âme qui va tout le long du film s’enfoncer de plus en plus dans les ténèbres pour ne plus en sortir. C’est un parcours sombre, cruel, dérangeant, mais surtout passionnant, dans une société qu’il nous plait de ne comprendre que par bribes d’informations, desservi par un scénario auquel il faut totalement adhérer pour se perdre dans les limbes d’une terre inconnue et d’un esprit tordu. Cronenberg nous raconte la déchéance du protagoniste à travers une mise en scène au cordeau, qui enlève tout risque de monotonie malgré le fait que le film se passe la plupart du temps dans une limousine, et très opaque, mais qui ne fait qu’accentuer la fascination du spectateur. Le réalisateur ne laisse aucun temps mort dans des dialogues qui sont d’une grande qualité et maintiennent durablement notre attention.
On se pose des questions, on admire la virtuosité de la mise en scène de Cronenberg et on ne lâche pas des yeux Robert Pattinson qui nous livre une interprétation sans faille, toute en retenue et avec un flegme imparable. Il est omniprésent tout le long du film, pas un seul plan n'épargne sa présence. Nous avons une véritable révélation du talent de l’acteur, dont le nom était jusqu'à présent associé à celui d’une saga peu flatteuse. Le reste du casting charme lui aussi, en particulier Juliette Binoche en amie racoleuse et Paul Giamatti en individu lambda qui n’en peut plus de vivre dans un tel monde.
La longue scène en huis clos qui clôture le film est à l’image de l’œuvre : une atmosphère inimitable. La psychologie des deux protagonistes principaux prend le pas sur les multiples interrogations laissées par le long métrage, donnant lieu à un subtil questionnement sur la futilité d’une telle civilisation. Cosmopolis c’est un questionnement perpétuel sur une humanité en perdition, un film prémonitoire aussi fascinant qu’austère, aussi attirant que révulsant, mais tentez le voyage, il en vaut la peine.