Fiction futuriste déprimante, dystopique, COSMOPOLIS conte une sorte de fin catastrophique (assez proche, 2020?) du capitalisme, montrée par le petit bout de la lorgnette à travers le dernier jour d'un jeune vampire (Twilight n'est pas si loin) de la finance, nommé Eric Parker. Reclus dans sa limousine blindée-insonorisée, son cocon, sa vie semble parfaitement hermétique au monde, évoluant dans l'extrême vitesse d'un temps parallèle...
Il va tenter de s'en affranchir pour goûter à la liberté d'abord, à la souffrance ensuite, en pure perte
. Robert Pattinson incarne la figure d'un capitalisme sans limites et donc suicidaire, aux allures d’invincibilité mais auto-/destructeur, poli mais manipulateur, d'une beauté glacée mâtinée d'extravagance, jouisseur mais phallocratique (pénétration fonctionnaliste incluse), rationnel et dénué de sentiments, à la confidence non tendre mais perverse, rassurant en apparence, en réalité aliénant, où tout semble pouvoir s'acheter, où la simplicité joyeuse des rapports humains fait place aux discussions cyniques, tristes, surfaciques, aux rapports durs, tordus. Drame du mâle tout puissant. Sur le fond, COSMOPOLIS tire son épingle du jeu. C'est le monstre froid qu'on découvre, dont l'assurance provocante et la puissance aveugle, soutenues par le système adhoc qui l'a fabriqué, constituent aussi le talon d'Achille. Un monstre au double visage, comme ce Parker qui n'a pas fini sa coupe et découvre son imperfection. C'est sur sa forme et son rythme que le film achoppe; on peut relever en particulier la teneur trop cérébrale et signifiante des dialogues, à la complexité presque cryptée tant la clarté fait défaut; mais aussi le manque de punch, les textes superflus
(tel le long et improbable speech cliché de l'entartreur masochiste, lui-même ironiquement criblé de flashs).
Dans son passage, Juliette Binoche assure, son ton est impec. Par contre, la prestation de Sarah Gadon ne paraît pas très convainquante. Sarah Gadon (ex-Emma Jung, refilée au fils Cronenberg pour Antiviral) s'avère un bon choix, en riche blonde indifférente bien-pensante. Au-delà, il ne suffit pas d'agiter trois guns pour (r)éveiller l'attention des spectateurs. Un ennui certain pèse jusqu'à la moitié: il faut tenir. Lors de la scène longuette chez le vieux coiffeur et son blabla incessant, le spectateur ne sera pas le seul à vouloir partir... La convivialité insignifiante des petites gens n'est-elle pas devenu insupportable lorsque la disparition du pouvoir qui permettait de s'y complaire orgueilleusement dévoile sa propre nullité? Malgré tout, la construction du film se tient. Ce qui vient de l'extérieur (dont s'est nourrie la B-A, manifestement trompeuse), c'est l'espace de la perturbation. Dès lors qu'on se retrouve à l'abri, que ce soit dans le huit-clos de la limousine high-tech, dans la bibliothèque, dans la discothèque, au salon de coiffure ou encore dans une chambre en bonne compagnie, la logique capitaliste semble protégée, sauvée par les univers factices, construits pour rassurer. La grande fabrique d'irréalité autorise des incursions d'allure surréaliste.
Par exemple, on nous balance rapidement sur un écran l'attentat dans un show TV contre la personne dirigeant le FMI: shocking certes mais aussi mal amené et peu crédible.
En même temps, qu'y a-t-il de plus difficile à croire, quand tout s'effondre? Bref, COSMOPOLIS brosse, à la manière d'un théâtre de marionnettes, le portrait d'une chute et il fait nous poser des questions sur le pourquoi de la dictature du capitalisme: Cronenberg y dévoile une dimension christique. Les pauvres ont tenu jusqu'au bout, jusqu'au bout nonobstant leur haine, leur révolte, ils ont supporté, car ils quêtaient leur survie...
Or le «sauveur» ne les a pas entendus et, pire, plutôt que de reconnaître ses tords, il s'est lui-même crucifié. Et Paul Giamatti de jouer le bougre castré revanchard.
Ainsi, COSMOPOLIS se fait œuvre métaphorique visionnaire en nous montrant l'horreur de l'esprit économiciste qui absorbe la planète mais en dévoilant en outre son caractère profondément sado-masochiste. On en regrette l'aspect trop déconnecté (malgré l'idée afférente), la haute cérébralité qui la fonde, bref une espèce de philosophie mal ficelée, une démonstration qui sent trop la théorie, aggravée par un manque d'envergure (tel l'absence de discours sur la toxicité du système productiviste ou sur les divers aspects addictifs du capitalisme). Magnifique "Long To Live" de Metric, en écho à l'esprit apocalyptique d'évanouissement, en générique de fin. Globalement étouffante et sinistre, cette illustration prophétique du capitalisme (autre version du machisme) comme aliénation ironique tient tout à fait la route; cependant elle manque d'humour, de dynamisme et relève trop d'un intellectualisme calculé. Un film de commande, un sujet à revoir, néanmoins glaçant et atypique.