Un film assez troublant, différent du travail habituel de Cronenberg. A dire vrai, différent de tout.
Il y brosse le portrait d'une société qui a épousé sans retenue l'idéologie néolibérale. A l'heure où les troubles politiques agitent le monde, Cronenberg vient apporter sa pierre à l'édifice du questionnement sur le type de société dans laquelle nous vivons. Questionnement qui apparaît avec la cohabitation, puisqu'on ne peut parler de réel affrontement, des 1% face aux 99%.
Robert Patinson y incarne avec talent un pur produit de l'économie capitaliste, Eric Parker, qui passe ses journées à spéculer avec des sommes qui ne représentent plus rien sur des placements dont on ne sait pas grand chose. L'acteur de Twihlight a passé un cap.
Avec un jeu presque déshumanisé pendant la première moitié du film, il rend bien compte des idées que Cronenberg a désiré faire passer, présentant une élite froide et coupée du monde. Car c'est là la grande originalité du film: la mise en scène de ce monde à deux vitesses en enfermant Eric Parker dans sa limousine pendant une bonne partie du film. Don de Lilo lui même, l'auteur du roman, estimait son oeuvre inadaptable pour cette raison.
Dans le film, la voiture d'Eric Parker lui sert de rempart face au monde. Parfaitement insonorisée, elle lui permet de rester insensible aux émeutes qui déchirent la ville, avec pour acteurs des 99% au bout du rouleau. On voit dans un premier temps la voiture se dégrader de l'extérieur, tandis que Parker ne semble absolument pas touché: la voiture devient ici une seconde peau pour lui, prenant les coups à sa place.
C'est dans ce cadre que les deux tiers du film sont battis. Et toute l'action y est construite autour d'un cruel décalage: alors que dehors les gens se battent pour vivre, le seul soucis de la journée d'Eric Parker est de se rendre chez le coiffeur. Tout alors devient secondaire.
La voiture du héros constitue son lieu de travail, puisque tous ses employés y montent pour échanger avec lui des données qui restent floues pour le spectateur, mais aussi un lieu de vie: il y reçoit le médecin, et y fait l'amour à plusieurs reprises, plus par hygiène que par désir (et encore moins par amour). On voit aussi exposé à nos yeux une des caractéristique essentiel du monde néolibéral, dans lequel le travail et l'argent pénètrent toutes les sphères de la vie. On peut en prendre comme symbole le toucher rectal que subit Parker tandis qu'il poursuit avec sa collaboratrice des échanges relatifs à des placements.
Si la construction du film était plutôt habile, le rythme reste pour moi dérangeant. A l'image de la scène du toucher, qui a tendance à s'éterniser. Ou des dialogues qui parfois trainent en longueur. Parti pris que l'on peut apprécier, mais Cronenberg s'expose (certainement consciemment) à perdre des spectateurs en route. On a davantage l'impression d'un exercice de style que d'un film destiné à être vu.
Dans la deuxième partie du film, qui démarre avec le meurtre froid de son garde du corps par Parker, certains seront heureux de renouer avec une forme d'action à l'écran. Le jeu de Pattinson y est pour moi un peu moins juste. Le réveil des sentiments humains chez Parker est difficile à digérer et on entre un peu dans une séquence où l'action décousue, à l'image de l'esprit du héros.
Parcours initiatique pour Parker, jusqu'à ce face-à-face final avec son meurtrier. Un échange qui représente pour la première fois un contact entre les 1% et les 99%, au cours duquel les 99% ont symboliquement un ascendant par la puissance de leur nombre (ou le revolver du meurtrier lors du face à face). Mais comme ailleurs, dans cet immeuble Parker (les 1%) résiste et garde le contrôle par les mots, en arrivant à faire douter les 99% de la nécessité de se rebeller.
Jusqu'au dernier dialogue et cette fin ouverte, (qui n'est pas sans rappeler celle d'eXistenZ) où l'on ne sait si le héros va survivre ou non.
Un affrontement final qui est à l'image du film selon moi. Un point de départ intéressant à partir duquel il y aurait eu beaucoup de choses à dire, mais qui pêche par son rythme et des dialogues pas assez ciselés. Cronenberg avait voulu rester fidèle aux dialogues de De Lilo, peut-être aurait-il dû les recomposer pour le genre cinématographique.
Cosmopolis est toutefois un film qu'on garde en tête, parce qu’il interroge d'un point de vue sociétal et cinématographique. Mais pas un film que l'on prend plaisir à voir et qui nous transporte, en tout cas pour ma part. Mais Cronenberg pourra être heureux de ne pas avoir laissé indifférent.