Cosmopolis a l’allure d’un long et périlleux cheminement au terme duquel son personnage principal aura laissé entrer le hasard dans son existence, perçant d’un coup fatal la bulle spéculative dans laquelle il vivait jusqu’alors. Nous suivons, sans le quitter, le beau Robert Pattinson dans un périple qui lui est à la fois très banal et extraordinaire : la raison de ce périple – une coupe de cheveux – reflète à merveille ce que cherche ici le personnage, à savoir le risque, le vertige qu’éprouve tout individu face à la mort qui le guette. Mort qui, d’ailleurs, n’a de cesse de jalonné son parcours : un médecin se livre à un check-up complet, allant jusqu’à inspecter son anus et sa prostate (scène fort drôle au demeurant). Car la clef de son émancipation se trouve en lui, et les multiples mises à nu de sa personne ont l’avantage de traverser la peau pour écouter, enfouie au plus profond de cette carapace capitaliste, la terreur d’un cœur qui bat et qui pourrait, par hasard, cesser son activité. Fable sur la libération d’un homme victime du système qu’il a lui-même contribué à nourrir, Cosmopolis peut également se lire comme le refus de laisser la mort entre les mains du hasard : tout, dans le comportement d’Eric Packer, prône l’obsession du contrôle de soi, la mainmise de l’individu sur son destin. En réalité, le film narre une lente mais certaine désillusion qui noie son personnage sous des flots ininterrompus de paroles incompréhensibles, de données chiffrées et de deuils. Puisque le temps est devenu une valeur d’entreprise, puisque le présent tend à disparaître au profit d’un futur anticipé, seul un suicide s’avère capable de rétablir non seulement le primat du temps présent comme trace de vie, mais également la preuve que l’être qui domine les autres par son intellect peut accueillir la seule variable incontrôlable : le hasard. Cosmopolis suit donc une progression physique et spirituelle contradictoire : descendre des hauts quartiers d’affaires dans les bas-fonds où bouillonne la violence endémique, se hisser des rôles sociétaux jusqu’à sortir de soi et orchestrer son départ du monde. Nul hasard, par conséquent, si Packer exige, contre vents et marées, qu’une chapelle publique soit implantée dans son appartement personnel : il est à lui-même son propre dieu, son propre rédempteur, circule dans un véhicule à la blanche divine et meublée de manière baroque. Ce blanc extérieur renferme une noirceur intérieure, et à mesure que cette noirceur gagne le devant de la scène, la voiture se salit, se couvre des tags et autres graffiti. Cette descente quasi diabolique se traduit symboliquement par la coupe de cheveux, mise à mort du potentiel érotique de l’ange, expression physique de son imperfection, donc de son Salut. David Cronenberg signe une œuvre à la richesse allégorique froide et cérébrale, constat désabusé et pourtant dessinant dans le ciel vitré de sa limousine de subtils halos de sublime.