Ma compagne de nuit est le premier long-métrage d'Isabelle Brocard. Mais elle a déjà réalisé deux films dans lesquels le corps avait une place centrale: un court-métrage racontant l'histoire d'un petit garçon qui s'aperçoit que sa voisine allaite sa petite sœur secrètement et un documentaire sur une de ses amies, anorexique. C'est l'action de l'association Emergence qui lui a permis de passer du court au long.
Isabelle Brocard a toujours voulu tourner avec Emmanuelle Béart: "C’était un peu un rêve, que j’ai mis du temps à assumer et à avouer. Emmanuelle est une excellente actrice, elle fait des choix très radicaux, je la trouve fascinante chez Rivette, Sautet" C'est en parlant avec sa directrice de casting, Tatiana Vialle, que la réalisatrice s'est rendu compte que ce rôle correspondait tout à fait aux attentes de l'actrice. De plus, la monteuse du film, Martine Giordano, avait déjà travaillé avec l'actrice, une expérience où naquit une grande admiration entre les deux femmes.
"Emmanuelle Béart et Hafsia Herzi ont fait un gros travail physique" nous apprend Isabelle Brocard. La réalisatrice avait la volonté d'exprimer physiquement la psychologie de ses personnages. Ainsi pour Emmanuelle Béart: "je lui ai demandé de maigrir pour la sortir de son image glamour et elle s’est coupé les cheveux très courts pour qu’il y ait une trace des chimios que Julia a faites. Pour autant, il ne s’agissait pas qu’elle se rase : ça aurait été ostentatoire. Julia est marquée par la maladie mais cela ne l’empêche pas d’être toujours séduisante."
Ce travail de transformation physique a été accompagné par un vrai travail de documentation pour entrer dans la logique de cette femme en souffrance: "Je lui ai présenté une amie psychologue qui s’occupe d’un réseau de soins palliatifs." explique la réalisatrice, "elle a passé du temps dans une unité de soins palliatifs à Villejuif. J’ai appris récemment qu’ensemble, elles s’étaient inventé la vie de Julia !"
Au début, le personnage de Marine devait être une "petite blanche bourguignonne élevée par ses grands-parents". C'est quand, guidée par son producteur, la réalisatrice a vu La Graine et le mulet d'Abdellatif Kechiche qu'elle a pensé qu'Hafsia Herzi serait parfaite pour le rôle.
Le personnage joué par Hafsia Herzi a lui aussi nécessité une vraie préparation: "Hafsia a grossi et pris des cours de boxe. Je voulais qu’elle ait un côté masculin, un peu camionneur, qu’elle porte des petits marcels". Et là encore, le travail physique s'est accompagné d'un travail de recherche par devoir de crédibilité : "elle a fait un stage de 15 jours dans un service de cancérologie pour se familiariser avec les gestes d’une aide-soignante."
Un travail qui n'a pas toujours été évident mais qui a fini par aboutir: "A l’inverse d’Emmanuelle Béart, Hafsia n’avance pas en cherchant et en réfléchissant mais comme elle le sent. Et ça n’était pas toujours comme moi je le sentais ! On a beaucoup travaillé physiquement autour du personnage avant et sur le tournage, c’était parfois un rapport de force pour atténuer son débit de mitraillette, canaliser son énergie. C’est une actrice très féminine, elle a fait un vrai chemin pour arriver à l’espèce de brute un peu bornée qu’est Marine !"
Hafsia Herzi partage plusieurs points communs avec son personnage. En effet, elles ont toutes les deux perdu leur père jeunes, ont toutes les deux rêvé d'être infirmière et Hafsia, comme Marine au début du film, ne sait pas nager.
Julia, jouée par Emmanuelle Béart, est atteinte d'un cancer en phase terminale. Il n’y a pourtant que deux scènes dans le film où on la voit vraiment souffrir. C'est un choix délibéré de la réalisatrice Isabelle Brocard, qui tenait à pas tomber dans le misérabilisme: "C’était un entre-deux à trouver : ne pas en faire trop sans tomber dans l’angélisme. Mais ce sont en quelque sorte les deux héroïnes elles-mêmes qui refusent le pathos."
Pour pouvoir être au plus près de la vérité de ce que ressent Julia, Isabelle Brocard et sa coscénariste Hélène Laurent sont allées se renseigner auprès des personnes les plus à même de leur raconter cette expérience : les malades, leurs proches et leurs médecins : "Au début, on faisait régulièrement lire le scénario à un médecin spécialisé dans les soins palliatifs. Il nous donnait des idées, nous racontait ses expériences. On a aussi rencontré des gens qui ont accompagné des proches dans la maladie, et on s’est servi de nos propres histoires à nous."
Isabelle Brocard évoque les films qui l'ont "nourrie". Ainsi, les films de Andrei Tarkovski, Shohei Imamura, ou de Ingmar Bergman, notamment Persona et Le Silence, l'ont aidé à penser cinématographiquement son histoire. De même, le film Son frère de Patrice Chéreau: "Peut-être que c’est un peu à cause de ce film que j’ai pensé à Bruno Todeschini pour le rôle de Gaspard. Il avait affronté ce sujet chez Chéreau en jouant le malade et là, il se retrouve de l’autre côté."
Un des sujets du film pour Isabelle Brocard est la question de la transmission. "Quelque chose fascine Marine chez Julia de sa beauté, de sa classe, de son aisance. Elle est aussi fascinée par sa fille Anna." Dans ce registre, la place de la famille est remise en question. Ainsi on suit dans le film les rapports conflictuels entre trois générations: Julia, sa fille Anna et ses parents: "Ses parents [à Julia] ont la classe et la froideur d’un certain milieu aisé. Ils savent s’y prendre avec leurs petits-enfants mais pas avec leurs enfants"
Isabelle Brocard ne voulait au début pas de musique pour son film. C'est quand son compositeur, Manuel Peskine, est arrivé avec ses morceaux, au moment du montage, qu'elle et sa monteuse Martine Giordano se sont décidées à en intégrer. La monteuse voulait "monter le film comme un thriller" et justement, cette musique, très âpre, participait tout à fait de cette atmosphère: "La musique devient un personnage, elle nous permet d’accéder au chemin intérieur que fait Julia et que l’on ne raconte pas."
Isabelle Brocard a écrit et tourné une autre fin, au cas où le dénouement initialement prévu ne fonctionnerait pas à l'écran. Comme la première version lui convenait, elle a décidé de renoncer à cette fin alternative.