Ang Lee, c’est de l’irrégulier. Depuis le cap « Tigre et Dragon », l’évolution des technologies du cinéma l’obsède, comme le prouve sa filmographie. Il n’hésite pas, il fonce. Il est audacieux et les spectateurs comme tous les cinéphiles apprécieront. Mais le mariage du numérique et des éléments réels a toujours été tabou dans sa démarche. On le comprend rapidement, tout le marketing autour du projet tourne autour d’un visage double, l’un plus usé, l’autre plus frais. Ainsi, on met le paquet sur l’arsenal numérique pour une expérience plus parlant à l’acteur dédoublé qu’à nous autres spectateurs. L’enjeu de la séduction est ailleurs pour nous, c’est-à-dire sur l’immersion à haute vitesse. Lee l’avait déjà fait auparavant avec « Un jour dans la vie de Billy Lynn », qui héritait par la même occasion d’une bonne narration et mise en scène. Mais pour ce dernier travail, nous sommes loin d’atteindre le même résultat…
À la hauteur de 120 images par seconde, plus exactement au format de 3D 4K HFR (High Frame Rate), une merveille de fluidité est remise au goût du jour, dans un cadre plus réaliste que fantastique. Mais à quel prix ? Presque tout, en dehors de ce détail technique. On en parle peu, mais son usage n’est pas encore adapté pour tous les types de films. Ce dernier essai témoigne d’un certain échec, mais ouvre malgré tout quelques portes vers des mises en scène que l’on pouvait considérer trop risquées. L’intrigue se résume en une double course poursuite, du futur vers le passé et réciproquement. Will Smith incarne un Henry Brogan, as de la gâchette et de tout autre face à face. Son passé finit par le rattraper et c’est à partir de là qu’on soumet une certaine ambiguïté quant à la surenchère du produit. Il faudra attendre un bon tier du film pour que les protagonistes comprennent ce que nous savions déjà avant d’entrée en salle. Le tout est généreusement balisé par des rebondissements, sans conviction.
On ressent ainsi de la négligence, car Lee a surfé sur l’occasion, misant sur un scénario bête et méchant pour tester un bijou technologique dans le but de prouver que le cinéma aurait passé un cap. Mais la vérité est ailleurs, c’est un début certes, mais il faut bien plus que cela pour convaincre une audience exigeante. Bien entendu, nous trouverons notre lot de vertige et ce sera avec plaisir de retenter l’expérience, mais il Passé ce constat, il ne reste pourtant pas grand-chose à retenir du carnage, si ce n’est Will Smith qui porte un regard nostalgique sur sa carrière, son âge et son talent, à la fois perdu et gâché. Il le vit bien, il se rassure, mais c’est n’est pas forcément une morale consistante. Il n’est plus qu’une parenthèse, mais l’on ne s’attarde pas plus dans les enjeux du clonage. Il ne reste que les rôles secondaires pour se consoler, malheureusement, celui de Mary Elizabeth Winstead est inutile à souhait, tandis que celui de Clive Owen, ou plutôt sa paternité, manque d’être justifié, pour ne pas évoquer un oubli…
Il est donc difficile de considérer « Gemini Man » comme un film à part entière. Il s’agit plus d’une expérience, un prototype et nous étions les cobayes. Sans créer de surprises, l’effet miroir s’essouffle rapidement. De nuit, ça passe, de jour ça picote. « Volte Face » n’a pas à rougir face à une technologie encore en développent et les pensées des plus grands. La démarche admet encore trop de contraintes afin de pleinement faire vivre le mouvement souhaité. Le scénario, notamment, est donc sacrifié pour un cours technique qu’on aurait souhaité voir au point, car crue, elle est indigeste et sans saveur.