En relisant ma critique de "The Dark Knight", je me disais que décidément, Chris Nolan a de la suite dans les idées. En effet, la plupart des remarques que je faisais il y a deux ans restent valables pour "Inception", son premier scénario original depuis "The Follower", à commencer par la principale : le culot de présenter (avec succès) comme blockbuster de l'été un film d'action complexe, à la narration austère et exigeante pour le spectateur. J'évoquais aussi "une narration qui s'emberlificote de temps en temps entre les différents enjeux", et force est de constater que là, Chris Nolan est passé à un niveau supérieur de l'emberlificotage.
La complexité narrative représente un des intérêts les plus jouissifs du film, avec les rêves emboîtés lcomme des poupées russes, dont les effets interagissent les uns sur les autres, le tout conditionné par une distorsion du temps particulièrement astucieuse. Elle peut aussi constituer une limite, tant les éléments explicatifs dignes de ceux de Edgar P. Jacobs pour décrire l'onde Méga ou le chronoscaphe occupent une place importante dans la première heure du film, à tel point qu'on finit par se demander avec la bien nommée Ariane, dont ses compagnons disent portant d'elle qu'ils n'avaient jamais vu une personne piger aussi vite, "Mais on est dans le rêve de qui ?"
Et puis, une fois qu'on commence à s'accoutumer à cette destructuration temporelle qui rappelle fortement "Memento", et qu'on retrouve ses marques entre rêve et réalité un peu comme dans "Matrix", on ne peut que se laisser prendre par la subtile imbrication des rêves et les conséquences des uns sur les autres, avec une mention spéciale pour le niveau 2, où les personnages flottent en apesanteur dans un hôtel comme Tintin dans sa fusée lunaire, jusqu'à la sortie des rêves qui nécessitent la coordination d'actions similaires dans des temps différents.
Chris Nolan a avoué à la BBC être intéressé pour tourner un James Bond : le troisième niveau du rêve (le moins intéressant) peut servir de bout d'essai, tant la poursuite à ski et en motoneige rappelle celles de "Rien que pour vos Yeux" ou "L'Espion qui m'aimait". Ça et là, on peut glaner d'autres citations, à commencer par celle de la scène du vieil homme dans son lit mortuaire, venue tout droit de "2001, l'Odyssée de l'Espace". Et que dire de la chanson de Piaf qui sert de signal, quand on sait que Marion Cotillard figure au générique ?
Une autre qualité indéniable du dernier film de Chris Nolan, et qui le différencie du tout venant de la production des grands studios, c'est l'intégration des effets spéciaux au récit, et non l'inverse comme c'est le cas trop souvent. Ainsi, les superbes scènes tournées à Paris (une rue haussmanienne qui crève de partout, une autre qui se replie sur elle-même, des éléments de décor qui se déplacent pour créer une mise en abyme) constituent des illustrations pour l'initiaition d'Ariane, et avec elle, du spectateur. De même, l'irruption entropique d'une locomotive en plein New York prend son sens au fur et à mesure que se font les révélations sur les désordres amenés par la pollution de l'esprit de Cobb sur les rêves visités.
Notons enfin que Nolan a délibérément refusé de tourner (comme Cameron) ou de convertir (comme Burton) son film en 3D, car il trouve que les lunettes 3D diminuent trop la qualité de l'image. Choix judicieux, quand on voit le résultat plastique de l'image 2D qui sert d'écrin à ce polar métaphysique qui surnage indiscutablement dans la morne distribution estivale.
Critiques Clunysiennes
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