Christopher Nolan est-il humain ? C’est la question qu’on est en droit de se poser au vu de l’incroyable degré de qualité affiché par chacun de ses films, du troublant "Memento" au monstrueux "The Dark Knight", en passant par de petits bijoux comme "Le Prestige". Aucun genre ne semble résister au génie anglais, que ce soit l’adaptation de comics, le remake ou le film en costumes. Avec "Inception", Nolan signe un nouveau chef-d'oeuvre et revient à ses premières amours puisqu’il s’agit d’un scénario original (comme pour "Memento"), soit un produit extrêmement rare de nos jours à Hollywood. Et quel scénario ! En prenant les rêves comme thème central, le réalisateur sait qu’il peut se permettre toutes les folies mais a l’intelligence de ne pas céder aux sirènes du délire visuel façon "L’Imaginarium du Docteur Parnassus" pour, au contraire, nous livrer une vision particulièrement crédible dans laquelle chacun se reconnaitra (les ellipses d’une scène à l’autre, le rêveur qui ne sait pas comment il est arrivé là, le temps qui s’écoule beaucoup plus lentement que dans la réalité...). C’est ce sérieux dans le traitement du rêve qui donne toute sa légitimité au film et qui permet de faire avaler au spectateur cette histoire d’extraction de secrets enfouis dans le subconscient et de fabrication de rêves sans se poser la moindre question. Nolan ne se limite cependant pas à raconter une simple histoire puisqu’il brouille constamment la frontière entre réalité et rêves, obligeant le spectateur à douter constamment de ce qu’il voit à l’écran. A ce titre, la conclusion du film est l’une des meilleures fins qu’il ait été donné de voir au cinéma depuis bien longtemps (le plan final sur la toupie est ouvert à toutes les interprétations et devrait alimenter pas mal de débats entre amis) et peut potentiellement remettre tout l'intrigue en cause. Un tour de force exceptionnel que Nolan a appuyé par son irréprochable mise en scène avec un sens de l’esthétisme toujours aussi marqué, un rythme incessant, une BO magnifique et utile à l’intrigue (l’indispensable et emphatique Hans Zimmer), des plans à couper le souffle (la scène dans le couloir est un modèle du genre), des références notables (on pense à "Matrix" bien sûr mais aussi à "Mission Impossible" et aux "James Bond"...) et une résistance salvatrice aux effets spéciaux numériques au profit d’effets "à l’ancienne", qui donne une authenticité inespérée au film. Mais Nolan a un autre talent : sa capacité à s’offrir un casting de rêves sans pour autant piocher dans les super-stars du box-office et à transcender ses acteurs en les dirigeant d’une main de maître. Autour du monstrueux Leonardo DiCaprio (qui s’est fait la tête de Nolan pour l’occasion et qui prouve une fois son exigence payante dans le choix de ses rôles) en héros torturé, on retrouve la mystérieuse Marion Cotillard en amour perdue, l’opiniâtre Ellen Page en architecte, l’excellent Joseph Gordon-Levitt en organisateur, l’amusant Tom Hardy en faussaire sans oublier les fidèles de réalisateur Cillian Murphy, Ken Watanabe et Michael Caine. Un casting fantastique et surtout des personnages fouillés qui trouvent tous quelque chose à se mettre sous la dent. Que dire de plus si ce n’est qu’avec un tel pitch et une telle richesse visuelle, on s’étonne que le film soit si accessible (contrairement aux délires pseudo-intellos d’un David Lynch). Une preuve supplémentaire de l’incontestable génie de Christopher Nolan qui s’avère une fois de plus être le plus grand réalisateur actuel et, à tout le moins, le seul à allier richesse scénaristique et très grand spectacle. Et dire que son prochain film est le 3e Batman...