Pour moi, « Inception » est le film qui symbolise le plus l’univers et le style de Nolan en tant que réalisateur. On y retrouve en effet quasiment tout ce qui caractérise son cinéma : une histoire originale fascinante bien qu’exigeante, mêlant science-fiction et polar, filmée avec un réalisme sec, des personnages de professionnels méthodiques, comme chez Mann ou Melville, des scènes d’action à couper le souffle, une forme de démesure dans la mise en scène, des acteurs fétiches (Cillian Murphy, Tom Hardy, Joseph Gordon-Levitt) et des collaborateurs réguliers (Wally Pfister, Hans Zimmer) … Il n’y a pas à dire, les amateurs du cinéaste culte sauront trouver dans « Inception » le grand divertissement que le film promet. Cependant, je trouve que si le film est aussi caractéristique du cinéma de Nolan, c’est aussi parce qu’on y retrouve les qualités et les défauts inhérents à son œuvre. Tout d’abord, je dois dire que je trouve le scénario absolument fascinant : l’idée de pouvoir s’introduire dans les rêves, de les maîtriser et les construire à notre guise est pour moi une idée tout à fait passionnante et qui donne une matière considérable à explorer dans un scénario. On comprend aussi tout le potentiel cinématographique que ce cette idée recèle, et on adhère alors totalement aux scènes du film nous présentant les personnages dans des décors époustouflants, pouvant être entièrement construits par l’esprit (Je pense bien sûr aux scènes entre Cobb et Ariane à Paris, mais aussi aux scènes dans les Limbes et dans le dernier rêve). De ce point de vue-là, Christopher Nolan a fait un travail formidable pour créer ces décors et y plonger ses personnages, tant on est aspiré par la beauté de ces séquences et par leur puissance. La volonté d’associer cet univers d’exploration des rêves à une intrigue de « casse », avec l’idée de braquer les rêves est aussi très intéressante et permet de profiter de scènes d’action époustouflantes. Le problème est qu’on se rend très vite compte après le début du film qu’il y a un déséquilibre dans la narration. Le film a en effet un rythme très rapide et les scènes d’action, bien que formidables, prennent très vite le pas sur la réflexion, si bien que l’on a à peine le temps de comprendre les mécaniques de l’inception, que l’on y est déjà plongé. Le film alterne alors entres des séquences d’action très nombreuses et des scènes d’explication et de réflexion beaucoup trop courtes et rapides, ce qui fait qu’il est très difficile de suivre le film, et surtout d’apprécier la mécanique du rêve. Il y a donc un vrai problème de structure dans le film, tant l’on a constamment l’impression que l’intrigue doit avancer à toute allure pour rentrer dans les 2h30 du film. C’est bien dommage, car toutes les idées générées par le scénario, et sur lesquelles on aimerait avoir le temps de méditer entre deux scènes d’actions, ne restent qu’à l’état de brouillon. De plus, il est difficile à ce rythme d’être ému par l’histoire, qui recèle pourtant de très bonnes séquences (
Je pense notamment à toutes les scènes où Cobb explique ses relations avec sa femme défunte, et où les flash-backs nous montrent le monde qu’ils s’étaient créés dans les Limbres, avant de devoir le quitter pour revenir à la réalité
) qui permettraient de créer une émotion chez le spectateur, mais qui ne bénéficient au final que d’un traitement trop superficiel qui n’exploite pas assez la profondeur que crée ces scènes. A force d’alterner entre le grand spectacle et la réflexion, le film ne réussit pas selon moi à dépasser le bon divertissement, pour atteindre la profondeur auquel on imagine que Nolan voulait prétendre. Pour cela, il aurait fallu selon moi que le film soit beaucoup plus long (3h30, voire 4h auraient été beaucoup plus appropriées selon moi), afin de nous permettre de profiter de cet univers plus longuement et de l’explorer plus en détail, quitte à perdre des financements en route. Bien sûr, le film reste tout de même un solide divertissement, intelligent et riche en belles scènes d’action, et porté par une performance impressionnante de Leonardo DiCaprio. Mais bien que « Inception » représente probablement l’œuvre paroxystique de Nolan en temps que réalisateur, on y retrouve aussi les défauts qui ont pu l’accompagner pendant une partie de sa carrière, comme la difficulté à faire vivre un récit et à le faire vibrer dans le regard et l’esprit du spectateur, bien que ce défaut ait selon moi été grandement corrigé avec « Oppenheimer » …