Très beau long-métrage de Denis Villeneuve, qui s'empare avec toute la pudeur nécessaire d'un sordide fait divers pour en tirer un hommage qui adopte parfaitement le mélange de traumatisme et de fantomatique espoir qu'on peut imaginer émerger des ruines, après le passage d'un tel choc et d'un tel bouleversement de tout ce en quoi tout être humain ordinaire veut croire. La caméra de Villeneuve est géniale, régal de subtilité. On verrait presque une sorte de gêne dans ses flottements gracieux, comme ceux d'un fantôme, un entité plus tout à fait à sa place dans ce lieu aujourd'hui submergé par le drame. La seule parcelle de vie qui s'y meuve vraiment, en fait, et quoi de plus significatif que ces cadres spectraux, pour matérialiser un peu plus l'envie de rejoindre ceux qui n'ont pas eu la chance absurde de passer entre les mailles. Dans de telles circonstances, quelque chose vous est forcément arraché... Polytechnique est ainsi : gracieux, aérien, constamment dans une retenue respectueuse. Sans pour autant juger et condamner par contumace, puisqu'il prend le temps de décrire quelque peu le vide abyssal qui enveloppe le tueur. D'ailleurs, c'est vraiment le mot qui devrait primer, ce mot vide. Un vide qui contamine tout, de l'esprit d'un seul homme à un lieu de vie devenu théâtre d'horreur, puis à des existences toutes entières. D'ailleurs, les plans de la première partie sont très bien pensés, filmant la vie du campus sans s'y attarder trop nettement, se posant aux côtés du tueur perdu, complètement piégé en lui-même, étranger à sa propre vie. J'ai aussi réellement aimé les choix de narration, qui voguent d'un personnage à l'autre pour éviter une démarche trop mécanique qui aurait paralysé le drame par son côté lieu commun, trop sensibilisateur. En plus, le montage amène plusieurs fois des effets de surprise qui rétro-activement traduisent bien l'effet de choc dans lequel tout le film est pris, en perte totale de lucidité, oubliant que tout n'est pas fini, qu'il reste encore des choses à vivre, ou des gens à sauver. Techniquement, c'est parfait, artistique au possible. Et le final ne s'englue pas dans une plongée dépressive, mais s'ouvre au contraire pour distiller une petite note d'espoir, comme pour prendre par la main cette société québécoise si marquée par le drame. En général, j'adore la noirceur, mais avec de tels faits réels, elle n'aurait pas été appropriée, d'autant qu'elle parait ici superflue. D'ailleurs, Polytechnique est également l'un des rares films que j'applaudis pour son édulcoration graphique, évitant par son noir et blanc - en plus si poétique - de faire dans le voyeurisme. Un long-métrage qui aura dompté mon cynisme, et c'est assez rare pour être souligné. Vraiment, un beau moment de recueillement, humble et respectueux.