Et au-delà des nuages... le cinéma
Cloud Atlas, dernière folie de la fratrie Wachowski (100 millions de dollars de budget) boudée par les spectateurs, tutoie pourtant les sommets du 7ème art. Une sorte de « film total ».
Il est des films qui sont bien plus que cela. Des films qui nous laissent pantois quand les crédits défilent, incapables de se lever du siège qui a fait office de navette pendant le voyage de plus de trois heures proposé par Andy et Lana Wachowski et Tom Tykwer dans Cloud Atlas. Pas un voyage à travers l'espace mais à travers le temps, les époques en 6 séquences : esclavagisme en 1849, musique classique et homosexualité en 1936, enquête journalistique en 1973, drôle de vieillesse en 2012, futur technologique inhumain en 2144 et enfin Terre post-apocalyptique en 2321. 6 trames qui composent le puzzle scénaristique de Cloud Atlas.
Présentées ainsi, difficile de voir autre chose qu'une succession de séquences avec des thèmes et des époques différentes. Là est pourtant le génie scénaristique de Cloud Atlas. Tout est lié. Arrivé au bout du voyage, la continuité est évidente. Chaque arc narratif constitue une histoire en soi (début, rebondissements, fin) mais en choisissant d'alterner en permanence d'une période à l'autre, les réalisateurs subliment chacune d'entre elle dans une grande Histoire transcendantale où le destin, la réincarnation et la repentance sont bien une réalité.
Les acteurs y sont pour beaucoup dans la cohérence des séquences. La plupart incarnent un personnage dans chaque époque (Tom Hanks, Halle Berry et Jim Broadbent en tête). Ils se démultiplient, changent de visage, vieillissent, rajeunissent, sont tour à tour bon ou mauvais, naïf ou cynique. On se perd dans le bon sens du terme, les acteurs disparaissent derrière les personnages. Les époques s'entremêlent, se fondent progressivement l'une dans l'autre grâce à la musique, l'image et la narration. Le galop d'un cheval devient le roulement d'un train, une mélodie pour piano un riff de guitare endiablé... D'abord lentement puis les séquences se raccourcissent. On s'abandonne à l'intensité croissante du film, comme on sombre dans un sommeil rempli de rêves décousus, jusqu'à ce final enivrant, réveil en sursaut qui apporte la révélation au dormeur.
On serait tenté d'imputer la grandiloquence de Cloud Atlas au génie sur courant alternatif d'Andy et Lana Wachowski (Matrix était révolutionnaire, on ne peut pas en dire autant de ses deux suites dispensables et du brouillon Speed Racer). Ce serait oublier bien vite Tom Tykwer, le troisième réalisateur (Le Parfum en 2006) qui a tourné la moitié des séquences du film (1936, 1973 et 2012). A eux les scènes les plus ambitieuses, celles du futur qui nous transportent sur une Terre inconnue peuplée d'individus semblables à nous mais tellement différents. A lui les époques plus classiques, les personnages plus terriens mais qui sont le lien entre un passé révolu et un futur en marche.
Surtout, Tom Tykwer est un des compositeurs de la bande originale de Cloud Atlas et notamment du morceau éponyme, quête ultime du faux compositeur Robert Frobisher dans la séquence des années 1930. Mise en abîme d'une partition vouée à donner un sens à la vie du pauvre jeune homme et qui finalement se révèle être le fil conducteur du film. Le thème musical est décliné à chaque époque, véritable liant du film qui va crescendo et explose dans le final. On en ressort chamboulé, bouleversé, la tête pleine d'images et de questions, comme à la fin d'un long et beau voyage.