Ce qu'on n'enlèvera pas aux Wachowski, c'est leur ambition démesurée et leur idée d'absolu, caractérisée en dehors de la pellicule par une mainmise souvent totale sur leurs projets (scénario, production, mise en scène...). En ce sens, Cloud Atlas et ses multiples récits dispatchés sur 6 époques peuvent sans doute être vus comme un développement paroxystique de leurs idées et de leurs thématiques. Choral, symphonique même, tentant de se parer d'une densité folle et d'autre part carrément cosmogonique, le projet semblait si pharaonique qu'il a fini par m'intriguer, malgré un casting pas du tout à mon goût. Grave erreur. Car si tant voient en la fratrie Wachowski un tandem visionnaire, le frère et la sœur ne m'apparaissent au mieux que comme deux auteurs dépassés par la grandeur de leurs intentions, au pire comme des imposteurs. Ici, ils s'entourent de l'allemand Tom Tykwer (qui réalise les 3 premiers segments quand Andy et Lana s’attellent aux trois suivants). Pas forcément rassurant, pour qui avait comme moi auparavant vu son navet Lola Rennt et sa réalisation forcée au possible. Pourtant, ces doutes-là s'estompent globalement assez vite, quand on constate la solidité de la réalisation en place. En dehors de quelques passages un peu plats chez Tykwer, de quelques plans un peu ampoulés chez les Wachowski, Cloud Atlas s'avère même plutôt extrêmement abouti, jamais trop explicite, et pourtant assez riche. Pour continuer sur les bons points, la photographie est elle-aussi très belle, contribuant à nuancer des décors et des environnements hétéroclites qui concourent au message sur la théorie du chaos et l'effet papillon en trouvant une étonnante cohérence plastique malgré leurs différences a priori. Mais venons-y, d'ailleurs, à ce propos. Et là, qu'une chose à dire : aïe. Aïe aïe aïe, même. La philosophie, ce n'est pas donné à tout le monde. Pontifiant, simpliste, faussement riche et plutôt inachevé ; le message de Cloud Atlas et son développement sont complètement ahurissants de bêtise. Problème, c'est autour de ça que tout l'assemblage est réalisé. Mais comment se prendre au jeu de ces segments distordus, dont les seuls liens sont apportés par le montage (souvent virtuose, c'est vrai) quand derrière les enchaînements visuels réussis on peut supposer et interpréter tout et n'importe quoi ? En eux-mêmes, les sketchs sont d'ailleurs parfois ridicules ; le film aura au moins réussi à faire de leur assemblage quelque chose de plus digeste, comme quoi les ponts réciproques entre époques fonctionnent un minimum et le propos passe un minimum. On peut aussi se consoler avec la sensation de rouleau compresseur temporel qu'amènent les incessants cliffhangers, qui donnent l'impression en laissant sans arrêt des situations inachevées que l'urgence est si forte ailleurs qu'on doit donner priorité au direct. Comme si tout était simultané et inarrêtable. Mais même ses réussites, Cloud Atlas en paye la rançon ; en l’occurrence, le refus de laisser durer une scène plus de quelques minutes nuit sacrément au développement des personnages. Le pire c'est que le procédé, utilisé dès le début du récit, empêche totalement toute montée en puissance. D'un côté, le trio directorial a sans doute compris que mettre en place ce maelström, plus qu'une manière de modeler l'espace-temps à son gré, permet de détourner le regard des failles du scénario (idées ambiguës, incomplètes voire contradictoires) en enchaînant les scènes trop rapidement pour qu'on puisse s'attarder un moment sur lesdits défauts. D'où, entre autres, mon accusation d'imposture. Reste toujours le plaisir d'un mélange de genres réussi et de certains moments, épars mais intenses, qui demeurent de belles propositions de cinéma, bien qu'elles ne puissent égaler en la matière ce que se proposait d'être le film en entier. Et visuellement, je l'ai dit, c'est très beau, quelques maquillages complètement foirés mis à part. Mais quand même ; si vous voulez une vraie réflexion, cohérente et poétique, sur la survivance de l'être et de ses applications en dehors du temps, regardez The Foutain (je ne peux pas vous conseiller le livre dont Cloud Atlas est adapté, ne l'ayant pas lu). Pour voir un bon film des Wachowski, replongez-vous bien sûr dans l'excellent Matrix (ses deux suites sont une autre affaire dont je ne veux pas débattre) qui, dans ses thématiques se rapproche de près de Cloud Atlas (au Monde tout aussi matriciel), l'efficacité d'un divertissement réussi en plus. Ou encore pour voir Spock, regardez Star Trek (ne me dites pas que le maquillage horrible d'Hugo Weaving, censé passer pour un asiatique, n'y fait pas repenser). Enfin bref, regardez autre chose que Cloud Atlas, oeuvre dont l'ambition vire trop vite au ridicule dans un propos rêveur, incohérent et pontifiant dont moi, spectateur, me suis presque senti insulté.