Ce qui aurait pu n’être qu’un plaidoyer contre la peine de mort parmi d’autres (comme les excellents "La ligne verte" ou "La vie de David Gale") est transcendé ici par Tim Robbins, avec une intelligence rare, loin de tout manichéisme, en une oeuvre universelle sur l’amour, la haine, le pardon, la culpabilité et la religion. Au lieu de mettre la haine au carrefour de son propos, le cinéaste a préféré donner une place de premier ordre à l’Amour, incarné par le personnage de Soeur Helen Prejean. Au risque d’être rejetée de tous et au nom d’un Dieu à qui elle entend rendre sa capacité inhérente à aimer et à pardonner son prochain, Soeur Helen écoute ce que lui dicte sa conscience, son humanité. Sans tomber dans une bondieuserie facile, sans refourguer mille et un lieux communs sur la charité chrétienne, le film opère un travail d’humanisation à l’endroit même où on la croit perdue à jamais. Le film n’excuse pas l’acte de Matthew Poncelet, il ne le justifie pas par quelconques affres psychologiques. Ce qui intéresse Robbins, à l’image de soeur Helen, ce sont les étapes qui mènent au pardon, à l’acceptation de l’inacceptable, au long chemin qui conduit l’homme à prendre conscience de l’ampleur de ses actes. C’est en rencontrant la sollicitude et l’amour incarnés en la personne de soeur Helen que Matthew saisit le poids de sa responsabilité. Si elle est incapable de lui éviter la sanction vengeresque de tout un Etat, elle peut soulager sa conscience, l’aider à quitter son costume de « victime » de la société; statut qu’il déteste pourtant au plus haut point chez les autres (Cf. ses tirades sur les Noirs et les Juifs).
Ce qui inspire le respect dans la pensée de Robbins s’apparente à ce que j’appellerais une honnêteté pure et brute. Il ne triche pas, il ne joue pas avec son spectateur, il ne le prend pas à partie, ne le juge pas et ne se sent pas investi d’une mission christique. Robbins ne se sent pas détenteur d’une vérité absolue.
En proposant à la fin du film, une alternance de scènes du meurtre des adolescents et de la scène de l’exécution de Poncelet, il se contente de montrer à quel point la loi du Talion est une négation de la logique humaine.
Lorsque la société réclame la peau de celui qui est considéré comme un monstre dénué d’humanité, ne sombre-t-elle pas immédiatement dans la facilité de la barbarie? N’est-ce pas plus simple de pratiquer une injection létale plutôt que de s’armer d’amour et de compassion pour comprendre ce qui pousse l’Homme à céder à son animalité primaire ?
Tim Robbins fait fi de tout cynisme préférant filmer cette histoire, probablement inspirée de faits réels puisque la vraie soeur Helen fut consultante sur le tournage, avec une objectivité désarmante qui donne la parole tant au condamné qu’aux proches des victimes. Au lieu de souligner la haine qui entraîne la violence, le cinéaste met à l’honneur cette possibilité qu’a l’Homme de se repentir, de pardonner et de se faire pardonner. Comme le dit Helen, ce n’est pas simple, c’est un travail de chaque instant. Et toute la force du personnage incarné par Susan Sarandon s’inscrit dans le déchirement interne qu’elle subit, écartelée entre l’envie d’apaiser les familles des victimes et cette voix intérieure qui lui dicte d’aider son prochain, même lorsque celui-ci s’est perdu en route.
En conclusion, "Dead Man Walking" ne déshérite personne, il montre à voir, il dénonce, mais ne juge pas. C’est pourquoi, peu importe les prédispositions politiques et idéologiques de chacun sur le sujet, le film demeure plus que jamais d’actualité. Grâce à la finesse du regard de Robbins, il en ressort une oeuvre forte, humaine et universelle. Outre cette intelligence du réalisateur, le film doit sa force impressionnante à l’interprétation magistrale de Sean Penn et de Susan Sarandon. Ils sont tous les deux d’une justesse désoeuvrante, d’une sensibilité incroyable. Sean Penn provoque la crainte, le rejet pour exploser dans le registre de l’émotion. Si au départ rien n’est fait pour nous rendre son personnage humain et sympathique, il est de ces rares comédiens qui savent interpréter des personnages sombres et difficiles et faire basculer le public de l’effroi aux larmes en un claquement de doigt. Susan Sarandon, quant à elle, n’a pas volé son Oscar de la meilleure comédienne pour le rôle d’Helen Prejean. Jusqu’à la dernière minute, son personnage nous transporte, inspire l’admiration et met à mal nos sentiments. On ressort de "Dead Man Walking" avec le souffle coupé par les sanglots et le coeur serré, comme vidé de soi-même.