Le cinéma depuis ses origines a toujours rempli une double mission : celle de divertir en nous racontant des histoires, et celle de nous informer en ouvrant une fenêtre sur le monde. "A propos d'Elly" répond à ces deux fonctions : celle de Méliès, en nous proposant un récit passionnant marqué par une brutale rupture de tonalité, et celle des opérateurs Lumière en nous montrant le mode de vie et les mentalités de représentants de la classe moyenne dans une des sociétés les plus fermées du monde, sachant que malgré sa liberté de ton, le film a pu passer la double censure, politique et religieuse, pour rencontrer un large pulic en Iran.
En ce qui concerne l'aspect narratif, "A propos d'Elly" présente deux parties distinctes. La première nous montre un groupe d'anciens copains de fac qui partent en week-end, avec des préoccupations universelles : quelle répartition pour le couchage, qui va faire les courses et comment éviter les embouteillages du retour. On est là proche de "Vincent, François, Paul et les autres" avec les disputes futiles, les mecs qui fument la chicha pendant que les filles papotent à la cuisine, et la soirée charades à laquelle on associe les enfants.
Cette chronique attendrie se clôt par un long traveling sur le visage d'Elly en gros plan alors qu'elle s'échine à faire décoller le cerf-volant de la petite. Puis d'un seul coup le récit bascule dans le drame avec le début de noyade d'un des gamins, capté caméra portée comme on filme une scène de guerre, suivi par la découverte de la disparition d'Elly. La tonalité bascule, entre "Douze hommes en colère" et "Festen", avec des enjeux qui apparaissent les uns après les autres comme des poupées russes, avec au centre une question à laquelle le réalisateur se garde bien de donner la réponse avant le dénouement : Elly a-t-elle fugué ou s'est-elle noyée ?
C'est là que le film ajoute à l'enjeu dramatique la découverte du mode de pensée de la société iranienne : ce qui n'était au-début que petit marivaudage et légers mensonges sans conséquence devient lourd de menaces pouvant aller jusqu'à la lapidation, avec au centre la figure de Sepideh, remarquablement jouée par Golshifteh Farahani, qui passe du statut d'organisatrice sympa et fofolle à celui de bouc émissaire irresponsable.
Un des apects les plus intéressants est d'ailleurs la nature des rapports au sein du groupe, symbolisée par les deux votes, celui anodin de la première partie, et celui déterminant de la seconde. Dans les mécanismes de décision dans ce groupe (certes de la classe moyenne intellectuelle), les femmes ont une place prépondérante, et quand Sepideh se fait frapper par son mari, les femmes accourent pour la secourir et accabler Amir de reproches, alors que lui-même crie à sa femme "Regarde ce que m'as forcé à faire".
A l'heure où continuent les émeutes contre le trucage électoral, "A propos d'Elly" nous aide à comprendre ce que vivent ces hommes et ces femmes - dont on peut penser que la plupart auront voté Moussaoui -, en quoi ils sont forcément loin de nous par un contexte particulier, celui d'une dictature théocratique, mais aussi très proches dans leur aspiration au bonheur, leurs réactions admirables ou mesquines et tout simplement dans la façon de vivre l'amitié au quotidien.
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