Mon premier Scott Cooper, réalisateur jouissant d’une certaine réputation après deux longs métrages plutôt bien reçus, l’occasion de faire connaissance avec ce type (d’ailleurs son Crazy Heart reste dans ma liste de films à mater depuis un bon moment désormais), mais sans se mentir ce que j’attendais avant tout c’était de voir comment Johnny Depp allait bien pouvoir donner des signes de vie après divers rôles plus grotesques les uns que les autres. L’acteur aux multiples faciès s’en donne en apparence encore ici à cœur joie, grimé sous les traits du chef de gang irlandais des années 70-80 James Whitey Bulger, en vérité tout le projet tient en majeure partie sur lui, un sacré pari.
Personnellement je suis toujours resté friand des chroniques consacrées à l’histoire et aux membres de mafias américaines, le cinéma nous a servi des chefs d’œuvre du genre entre Le Parrain et Les Affranchis en passant par Casino, depuis cette période dorée des décennies 70-90 ses polars si particuliers ne sont plus légion qualitativement, Scorsese a passé la main, laissant le flambeau à des cinéastes bien moins inspirés. Scott Cooper se pose là, avec certainement la volonté de faire bouger tout ça, et je crains fort qu’il n’ai réussi à égaler ses modèles, le sujet est plutôt intéressant bien que l’histoire se dévoile comme classique, et elle est rendue comme … classique. Black Mass a pour objectif de narrer les tenants et les aboutissants de cette figure de la pègre, de ses collaborations avec les membres de son gang, son ami d’enfance devenu agent du FBI ainsi que les liens avec sa famille où son propre frère avocat. Bulger va s’en servir à son profit pour étendre son pouvoir sur le territoire de Boston et éliminer au fur et à mesure toute concurrence, tout ce petit monde se retrouve mêlé dans un plan des plus dangereux où chaque parti devra faire preuve de prudence pour ne pas voir le château de cartes s’écrouler.
Malheureusement on se rend vite compte que les points du scénario et ses personnages peinent à transcender quoi que ce soit, en fait j’ai eu comme l’impression que tout était régi prioritairement par le cadre et cet esthétisme sous couvert de filtres colorimétriques pour donner un semblant de "classe", le genre d’astuce cachant la forêt, mais n’est pas Fincher qui veut, le fait est qu’on prend le projet au sérieux, à juste titre, mais où est l’immersion ?
On pourra dire ce qu’on voudra mais ce qui saute aux yeux et qui dérange dès sa première apparition c’est le fait que Depp soit littéralement maquillé tel Patrick Sébastien dans le Grand Bluff, sincèrement on n’y croit pas du tout, dès qu’on voit sa tronche on ne pense pas au personnage de Bulger mais à Depp vulgairement métamorphosé, rien que les lentilles ne sonnent pas naturel pour un sou, on dirait presque Dani Filth de Cradle of Filth, c’est le genre de détail qui fait sortir d’un film, on ne peut y échapper. Et c’est dommage d’avoir autant grossi le trait car sincèrement j’ai plutôt aimé le jeu de Depp, ce rôle aurait clairement pu lui redonner un certain crédit, il m’a semblé impliqué sans en faire des caisses par rapport à l’idée que je m’en suis faite, j’ai par exemple beaucoup aimé la séquence du repas où Bulger jette un froid concernant la loyauté d’un de ses informateurs du FBI, une des rares qui dispose d’un degré de tension palpable et scotchante. Le reste du casting est correct, Joel Edgerton en tête (enfin par sa régularité à l’écran car je suis franchement loin d’être fan), on note aussi les présences de Kevin Bacon, Benedict Cumberbatch, Jesse Plemons ou Dakota Johnson ainsi que l’apparition furtive de Juno Temple, globalement l’interprétation ne cherche pas la performance à la American Bluff, Scott Cooper les utilise dans une mise en scène passablement traditionnelle mais au moins au service du récit, l’intérêt est de découdre les ficelles de cette machination et non de prendre du pur plaisir par sa rythmique.
C’est d’ailleurs le défaut que je reproche aux polars récents, ce manque de volupté et de tempo, se contenter de la forme pour faire passer la pilule, et Black Mass n’y échappe pas, Cooper tente d’y ajouter un minimum de burnes en redoublant les "fuck et fuckin’" dans la pure tradition scorsesienne mais cela ne suffit pas à donner du caractère au projet, de plus il ne s’attarde pas sur les trafics en eux même, c’est toujours très recentré vers les manipulations des deux camps pour éviter de laisser éclabousser l’affaire, assez bavard en plus, pour paradoxalement ne ressortir que peu de choses réellement palpitantes. L’illustration de la violence est cependant très réussie, qu’elle soit frontale (tabassage ou exécution par arme à feu) ou hors champ (la scène de la prostituée), les passages sont certes rarissimes mais toujours exploités à bon escient en terme de réalisation, ici la froideur est cohérente, d’ailleurs subtilement mise en musique, même si la bande son ne brille nullement par sa pluralité de manière globale. La frustration viendrait sans doute de la dernière partie où une fois ce piège semblant inexorablement se refermer pour offrir son lot de bouleversements s’en retrouve ellipsée, Cooper choisit de bazarder le dénouement de l’affaire, balançant ces sempiternels paragraphes conclusifs pour expédier le tout, des fois c’est suffisant mais ici je dirais que ça reflète un peu trop cet impératif de 'cut' vis à vis du cahier des charges, les deux heures semblent assez légères, un rab d’une trentaine de minutes pour rendre le final haletant n’aurait certainement pas été de refus.
Black Mass n’est en définitive pas un mauvais polar, il a même davantage de qualités que de défauts, à ma grande surprise, moi qui pensais m’ennuyer à mourir j’ai tout de même été captivé un minimum, le casting et la réalisation de Scott Cooper sauvent très clairement les apparences compte tenu du classicisme exacerbé de sa mise en scène et son déséquilibre narratif, il n’y a pas de prises de risques, pas de grande tension ni de moments marquants, je dirais que c’est typiquement le genre de long métrage efficace disposé à passer le dimanche soir sur France 2 à l’avenir, réservé à un public peu exigeant.