Film après film, Scott Cooper confirme tous les espoirs permis à la sortie de son magnifique Crazy Heart. Strictly Criminal, aka Black Mass, est une nouvelle preuve de l’immense talent de ce réalisateur hors du commun, hors des modes, adepte d’un cinéma dit « classique » mais qui sait précisément frapper l’Amérique là ou ça fait mal : à cet endroit où ses fondations et ses idéaux chancellent. Et cela à travers une chronique criminelle comme Hollywood n’en produit plus vraiment.
C'est tout de même assez impressionnant de constater que Scott Cooper ne parvienne pas encore à se faire connaître. Avec juste trois films à son actif, il révolutionne chaque genre qu'il interprété, comme un renouveau que l'on attendait plus, et c'est le cas pour Strictly Criminal. Même si tout part d'un classicisme qu'il n'est pas sans rappeler Scorsese, la mise en scène et le scénario restent bluffant. Cooper parvient à capter la terreur que véhiculent les gangsters, tout en maintenant leur pouvoir de fascination.
De la même manière, il va se jouer des passages obligés du genre en les repensant. La séquence de la boîte de nuit par exemple, grand classique, se transforme en une sorte de bal des horreurs. Même les différentes exécutions qui, dans le fond ne racontent rien de plus que celles vues dans des milliers de films (hormis le fait que James Bulger a tendance à se salir les mains), déjouent généralement les attentes. Par un choix de cadre, par le découpage, Strictly Criminal tend vers un cinéma classique mais loin d’être convenu ou hors de propos. Un cinéma d’une noirceur extrême, autant dans le fond que dans la forme grâce à une photographie magnifique qui tendrait presque vers l’horreur. James Bulger se transformant au fil du temps en une sorte de vampire.
Ainsi, le découpage et la réalisation du film le rendent unique en son genre. La lumière, les effets de mise en scène, le cadrage.. Tout transpire la perfection et la marque de son auteur. Même le traditionnel chapitrage calendaire se voit repensé et articulé autour des drames que va subir le « héros » plutôt qu’autour de ses réussites. Évidemment, tout le film est articulé autour de ce personnage incroyable. Et plus que de créer une forme d’admiration presque religieuse face à ce gangster, comme cela est généralement le cas avant de le faire chuter de son trône, Scott Cooper choisit un angle tout à fait différent. Ce type est un monstre psychotique et maniaque, comme il nous le montre justement dans la scène d’exposition, un modèle du genre en terme de fluidité et de caractérisation du personnage sans la moindre lourdeur. Mais sa rigueur, son organisation et certaines valeurs qui lui sont propres permettent de créer chez le spectateur une forme de respect. Un sentiment extrêmement différent de celui véhiculé par des icônes telles que Tony Montana ou James Conway.
Et c'est l'occasion pour Johnny Depp d'incarner l'un de ses meilleurs rôles et d'offrir l'une de ses meilleures performances, où il montre encore une fois qu'il est aussi un grand acteur quand on ne lui demande pas de grimacer. De même pour tous les rôles secondaires, tous utiles, apportant du coeur au film. Jusqu'à une fin touchante, où Scott Cooper cloue son troisième film avec classe. Strictly Criminal tient toutes ses promesses. En trois films, le réalisateur oriente solidement sa carrière et se fait le porte-étendard d’un cinéma à la fois moderne et un des rares héritiers d’un certain cinéma américain, violent, sans le moindre second degré, percutant, et presque crépusculaire dans son approche des grandes valeurs américaines. Une œuvre déjà essentielle en quelque sorte.