« Oh c’est une gamine (…) enfin, pour ce que je veux en faire, je la trouve très bien. »
La Vérité sur Bébé Donge est le troisième roman de Simenon adapté par Henri Decoin après « Les Inconnus dans la Maison (1942) et L’Homme de Londres (1943). Si Gabin gabine déjà sur le chemin de son grand retour au cinéma, en riche industriel particulièrement sexiste et odieux, Danielle Darrieux interprète à la perfection son rôle trouble, à la fois piquante, naïve et sombre.
Les meilleurs Simenon sont lents, tout le monde sait cela : il faut du temps pour découvrir la minutieuse peinture socio-psychologique des personnages. Cette fois, comme souvent, c’est au coeur de la bourgeoisie industrielle de province que nous plonge le récit, entre moment présent sans concession (les détails de l’hospitalisation de François/Gabin nous sont narrés cliniquement) et flashbacks mitigés entre le romantisme de Bébé/Darrieux et le cynisme de son époux. Le talent, pourtant peu novateur, de Decoin doublé du génie de Simenon, c’est de parvenir à donner, grâce à une direction d’interprètes à la fois cadrée, à la fois laissant libre cours à la personnalité de ses acteurs·trices, chair et sens à un propos qui pourrait, en d’autres mains, passer pour fade ou sans relief. C’est lent au début mais on veut savoir et on s’accroche. Alors, quand la narration se densifie, on ne voit plus passer les minutes et on en veut encore, toujours plus. Alors certes, aujourd’hui, le principe des flashbacks a vécu, à force de surexploitation, mais quand ils sont, comme ici, distillés et intelligents, on en redemanderait presque.
Au final, cette œuvre un peu oubliée a tout du grand classique, pour l’interprétation et le rythme parfaitement maîtrisé, à l’image de la musique de l’éclectique Jean-Jacques Grunenwald. Une œuvre qui gagne en densité, en intensité, voire en violence, au fil du récit avec, cerise sur le gâteau, une rarissime interprétation de Gabin en homme à la fois haïssable et amoindri. Un récit miroir comme on en fait peu.