Bien que toujours très enthousiaste à l’idée de regarder des Classiques d’autrefois, me voilà plutôt dépité au terme de ce ‘Blow-up’, pourtant considéré par l’écrasante majorité des critiques comme un des chef d’oeuvre majeur des années 60. Pour être tout à fait complet, j’ai également aperçu le dit chef d’oeuvre inclus dans les lignes d’une anthologie du navet, placé à cet endroit par un journaliste un rien provocateur qui, encouragé par la désaffection du grand public à l’égard d’une filmographie considérée comme austère et difficile d’accès, a vu en ‘Blow-up’ le prototype même du film d’auteur snobinard à abattre. Tous les chemins menant à Rome, c’est d’ailleurs peut-être bien cette seconde occurrence qui m’a décidé à aborder la filmographie de Michelangelo Antonioni. En ce milieu d’années 60, ‘Blow-up’ devait sans doute donner les gages d’une production moderne, au fait des dernières tendances musicales de l’heure (voir le concert des Yardbirds à la fin du film) et pionnière dans certains domaines, fut-ce celui de la nudité intégrale féminine. Dans l'effervescence culturelle du Swinging London (qui ne se ressent, et c’est volontaire, jamais à l’écran), Thomas, un photographe de mode, découvre sur des clichés pris à la volée dans un parc qu’il a peut-être été le témoin d’un crime. Voilà qui pourrait constituer l’objet d’un polar passionnant mais ce meurtre, qui n’est découvert qu’aux deux tiers du film, cesse très rapidement de constituer un enjeu scénaristique. D’ailleurs, la conclusion du film ne lui apportera aucune solution, pas même un début d’explication, et on se contentera de continuer à observer le quotidien de Thomas, et la somme des actes sans grand intérêt dont il se compose. Les critiques de l’époque n’avaient que le mot “incommunicabilité� à la bouche : ‘Blow-up’ serait donc un Grand Film sur l’incommunicabilité. Il existe effectivement quelques arguments pour justifier cette interprétation : Thomas est agité et actif, ne cesse de se déplacer et d’agir dans un environnement qui semble étrangement déserté par la vie. Brutal et misogyne, il n’est pas un personnage sympathique, il ne cherche pas à comprendre les besoins et les émotions d’autrui mais, en contrepartie, personne ne l’écoute non plus lorsqu’il tente de convaincre son entourage de ses déductions : sa compagne l’observe avec bienveillance et son agent lui tient des propos incohérent sous l’influence de la drogue. Pendant près de deux heures, Thomas, incapable d’agir sur son environnement et de se rendre utile, erre sans véritable but dans un film qui n’en a pas davantage. Dans le contexte des années 60, la démonstration avait peut-être beaucoup de sens, et les intentions du réalisateur frappaient peut-être instantanément le spectateur mais aujourd’hui, un demi-siècle d’évolution du ressenti et des codes plus tard, il est moins facile de comprendre instinctivement la vision d’Antonioni, du moins pas sans avoir récolté au préalable diverses informations pour guider la compréhension du film. Plus compréhensible est l’approche métaphorique qu’adopte Antonioni vis-à-vis de son propre travail : une fois qu’il a évacué les contingences d’un récit qui semble de toute façon fort peu l’intéresser, le réalisateur se livre à une méditation sur le pouvoir du cinéma, plus précisément qu’aucune réalité n’est effective avant d’avoir été capturée et gravée sur support par l’artiste. Voilà qui a au moins le mérite de conférer un début d’explication à certaines scènes du film à la signification obscure, comme l’apparition/disparition du cadavre ou la séquence finale, avec ces mimes qui simulent une partie de tennis. Toutefois, l’unanimité dont ‘Blow-up’ bénéficia à l’époque s’accorde mal avec certains faits liés à sa création : Antonioni avait l’habitude de tourner les scènes les plus essentielles à la bonne compréhension de l’oeuvre en tout dernier lieu, afin de pouvoir faire pression sur les producteurs et obtenir une rallonge de fonds ou de jours de tournage. Cette fois, le producteur Carlo Ponti ne céda pas : en l’état, ‘Blow-up était peut-être bien un film génial mais ce fut surtout un film inachevé.