Blow Up est un film de prise de conscience. On peut spéculer un peu, dire qu'on y passe de la futilité ( la mode et autres photos de mannequins, soit le triomphe de l'apparence ) à des questions beaucoup plus adultes ( le meurtre, question de vie et de mort ). Et on peut aussi être sûr que Blow Up est donc un film intelligent, responsable, pleinement philosophique dans sa manière de stimuler son spectateur. Antonioni interroge sur ce qu'on voit, ce qu'on ne voit pas, ce qu'on imagine, ce qui est, ce qui existe. Un film d'une richesse théorique inouïe.
Blow Up me convainc de manière presque définitive ( on ne peut être sûr de rien ) qu'Antonioni a été et continue d'être le plus grand cinéaste que l'histoire ait connu. Combien de réalisateurs se permettent ce qu'il fait dans ce film ? Qui ose faire durer autant ses plans, qui a l'audace d'instaurer de tels silences d'au moins 4 ou 5 minutes ? Avec Antonioni, c'est comme si le cinéma sortait la tête de l'eau dans laquelle il est plongé par obligation, comme s'il pouvait enfin respirer ( et le spectateur avec ). Blow Up est un chef d'oeuvre parce qu'il ose tout, et qu'il réussit ce qu'il entreprend.
Le film impressionne aussi de par sa fluidité. Fluidité de l'intrigue, fluidité du mouvement entre deux scènes par exemple. Blow Up bénéficie d'un sens du montage absolument extraordinaire, et d'ailleurs ce dernier est aussi un point important du film. Il semble rejoindre le discours sur le cinéma auquel on peut penser vu les thèmes centraux du film. Cela est bien sûr la conséquence du jeu de regards mis en place au sein de l'oeuvre. Blow Up est donc un film de points de vue. Mais surtout, de points de vue qui se confrontent. Soit quatre instances dotées du voir : le personnage principal, l'appareil-photo de ce dernier, Antonioni, et bien sûr le spectateur. C'est dans l'opposition des unes et des autres, dans leur juxtaposition, donc dans le montage, que le spectateur peut créer le sens des choses. Blow Up est quelque part un témoignagne de l'importance du processus griffithien, en même temps qu'il explose ses limites de manière fracassante. Plusieurs séquences sont des discours directs sur le cinéma. C'est, par exemple, le développement des photos du parc, et le sens qu'elles inventent, sens qui s'oppose à la réalité puisque dans cette dernière les événements ne se suivaient pas comme sur les photos ( Redgrave faisait non de la main à Hemmings, refusant d'être photographiée. Avec la juxtaposition des clichés, elle semble dire non après qu'on ait vu le pistolet et c'est comme si elle disait que le meurtre n'a pas eu lieu. Le montage est intervenu et a reconfiguré l'apparence des choses et surtout leur signification ).
Dans ce film, le sens du cadre antonionien qui fait ressortir le vide est moins un commentaire sur une solitude ( L'Avventura, L'Eclipse ) qu'une manière idéale de renforcer un certain mystère propre au thriller. Antonioni réussit à instaurer un certain trouble grâce à sa mise en scène et à sa manière de briser les codes du cinéma classique. Il laisse le bruit et la fureur aux autres pour se concentrer sur la réussite d'une atmosphère plutôt que sur une certaine efficacité de l'intrigue. C'est qu'il ne se passe pas grand-chose dans Blow Up, et pourtant le spectateur est stimulé comme rarement. Tout semble être affaire de ressenti intellectuel, et l'impression qu'on en a est celle d'être considéré comme adultes.
J'ajoute que la séquence finale est sûrement une de mes préférées tous films confondus. Il y a quelque chose de très touchant dans cette partie de tennis entre mimes, une manière évidente de parler du cinéma, et donc de la cinéphilie. Il n'y a pas de balle mais les mimes jouent. De la même façon, le spectateur voit des images projetées sur un écran, du faux, ce qui relève du domaine du proprement virtuel. Et pourtant on a l'impression qu'il n'y a rien de plus vrai que le cinéma. La partie de tennis de Blow Up c'est la prise de conscience de ce qui lie le spectateur au cinéma, de sa capacité à croire en une chose qu'il sait pertinemment fausse. Mais la magie opère, et le principal est là.
Assurément un des dix plus grands films de l'Histoire du cinéma.