Brazil peut aisément se caser dans le tiroir des films de science fiction anti-totalitaire, mais c'est un peu réducteur de ranger un film aussi dérangé. Si la critique sociale est évidente et qu'elle est faite par le biais d'un humour souvent doué d'une absurdité bien en thème avec la teneur abracadabradantesque qu'il souhaite donner au film, il faut cependant voir en Brazil une noirceur secondaire toujours présente en filigrane qui vient nous rappeler que derrière cette image drôle se cache une seconde face, celle ci effrayante, cachée partout, à l'affut. Le film présente un univers irrespirable, invivable, déjà difficile à regarder pour le spectateur du à son côté surfait, une sorte de Germania abouti, une bulle de laquelle on ne peut sortir. Si les machines ne prennent pas dans le film la place de l'homme, contrairement à la quasi totalité des films de ce genre, elles sont la cause de tout ses tords et de l'intrigue du film. En effet l'ancien Monty Python, visionnaire, base sa trame sur une erreur de frappe provoqué par une mouche, un bug ( insecte, en anglais pour les francs coqs anglophobes que je suis sur vous n'êtes pas ) qui mêle un innocent à la traque du personnage campé par un De Niro hilarant dans son costume d'aluminium. Le rôle de son personnage est expert chauffagiste, l'intelligence de Gilliam est ici d'intégrer une profession assez ridicule mais dont il donne sens grâce à un symbole essentiel du film : le réseau de tuyauterie dont les ronronnements incessants le rend quasi vivant tel un monstre industriel et en même temps bureaucratique, les tuyaux sont la façon du réalisateur de donner forme à sa pieuvre totalitaire.
En outre film s'emploie, sur des bases solides, Orwell par exemple, à donner une dimension importante au rêve et au cauchemar comme reflet de la réalité ou échappatoire, en effet s'ils se traduisent au début du film par leurs formes courantes et bien démarqués de la réalité, l'engrenage mystique et hallucinatoire qui se met en place fait que le rêve n'est plus discerné expressément d'une réalité tout à la fois trop grotesque pour être vrai ou trop sordide pour l'être. Le film est tiré par ces deux extrêmes vicieux, l'un par défaut de mesure, l'autre par excès de rigueur, suivant cette logique Brazil emploie un tel contraste qu'il est difficile de s'y retrouver avec le sens qu'on les choses telles qu'elles nous sont montrées, d'où la difficulté de plus en plus grande de faire la part des choses entre rêve et réalité si tant est que ce qu'on croit être le rêve l'est bien... Mais ce n'est pas sur ce registre que Brazil s'étend, préférant simplement utiliser le rêve de façon "pragmatique", pour trouver une seconde forme d'interprétation possible à l'avancée de l'intrigue ainsi qu'à la réflexion qui s'y ajoute, le rêve par son sens artistique et symbolique tient la place centrale du film, c'est par lui que viennent les aspirations à la liberté et ce rendu tellement irréel que donne le film.
Gilliam de cette manière ne fait pas de son film une œuvre complètement aboutie du point de vue réflectif et la préfère ambivalente, dense, très confuse et finalement tellement impersonnelle qu'on ne peut que s'interroger sur ce qui nous dérange, petit à petit en se désespérant de chercher la normalité dans le monde que créée Gilliam, complètement loufoque où les humains n'ont plus de singularité si ce n'est le fait de leur propre détérioration par la chirurgie esthétique. La dépersonnalisation est un trait caractéristique de Brazil qui emploie toute sorte d'artefacts, comme ces masques effrayants pour détruire l'individu et ce qui le rattache à son humanité, notamment sa famille. Seul le personnage de Sam Lowry, encore que, semble être doué de raison et à peu près, c'est en quelque sorte le fil rouge et en même temps le point de repère permanent, on ne sait pas si on doit le qualifier de héros ou d'antihéros, peut être les deux en fait. Il est vrai qu'à ses côtés les De Niro et Cie, tous plus incroyables les uns que les autres sont des purs produits de l'imaginaire d'un ex-Monty Python. Ceci étant dit Gilliam ne joue pas dans le même registre, ce film est inclassable par ce qu'il est, par la manière qu'il a de créer sa propre identité sur ce contraste évoqué plus haut : celui d'un film d'une grande drôlerie qui pourtant fait penser à ces cauchemars, ce qui ne sont pas les plus effrayants, mais ceux qui ne vous quitte jamais.
Brazil est une sorte de cartoon diabolique, caricatural dans tout les sens du terme, en constant ballotage entre une ironie carnassière et un film maudit, qui pousse beaucoup plus loin qu'il n'y parait son intention d'appartenir aux films de détresse, une alarme bruyante et dérangeante qui trotte dans la tête, comme un mauvais, un très mauvais rêve.