Une contre-utopie qui refuse le sérieux et le réalisme de bout en bout, est-ce un projet réalisable? C'est en tout cas ce que réussit, ou plutôt ce qu'essaye de réussir Terry Gilliam dans ce fameux "Brazil". Déconcertant et unique: voilà comment caractériser ce film. Déconcertant dès le départ: alors qu'on s'attend à tomber sur une ambiance de dystopie oppressante à la V pour Vendetta, voilà que le film adopte le ton de la comédie anglaise; au demeurant, ça fonctionne très bien, Gilliam réalise quelques gags à la Monthy Python (en moins lourd) souvent tordants. En parallèle on a un univers futuriste riche et pertinent, avec cette technologie décadente, cette police omniprésente...; l'humour met en relief certaines caractéristiques de ce régime totalitaire de manière brillante (je pense à l'arrestation du fonctionnaire). Face à ce monde oppressant, le héros se réfugie dans ses rêves. Là aussi, ça fonctionne très bien: le contrepoint entre la brutalité du monde extérieur et l'imaginaire des rêves est très bien pensé, et l'onirisme, associé à l'aspect dystopique du film, donne lieu à es scènes dérangeantes. Les scènes de rêves, par ailleurs, si elles ont horriblement vieillies, restent d'une louable créativité. Seulement voilà, si on a quelques bons gags, deux trois idées géniales, ça n'en fait ni une comédie hilarante et encore moins une dystopie mémorable. ll manque à ce film un fil conducteur efficace; le manque de rythme est flagrant, et malgré la qualité de l'ensemble le spectateur ne peut s'empêcher de bailler de temps à autres. C'est intéressant, mais c'est aussi ennuyeux. Cette ambiance de comédie est certes plaisante, mais très peu poignante. De plus, aussi peu conventionnel que soit le film, Gilliam n'évite pas au spectateur le cliché du héros qui tombe amoureux d'une femme qu'il a vu une fraction de seconde, et qu'il passera le temps du film à essayer de séduire. Dommage car le film dépeint une société prémonitoire avec un humour et un onirisme qui font parfois mouche. L'aspect dystopique est malheureusement relégue au second plan, de manière souvent suggestive, voilée et symbolique, derrière la vie sentimentale du héros. Il faut attendre la dernière demi heure pour que le film adopte enfin une atmosphère de contre-utopie oppressante, et ne devienne un peu plus prenant...mais là encore, Brazil n'échappe pas à sa caractéristique majeur: le réalisateur refuse à tout prix de tomber dans le réalisme. On y croit pas une seule seconde, et la réalisation ne fait rien pour. Bref, le film fonctionne durant deux heurs dix grâce à son humour, à ses longueurs, à ses quelques (trop rares) éléments dystopiques, à ses temps morts, à son onirisme original et à sa romance conventionelle. Jamais raté, mais jamais poignant. Tout cela jusqu'à un coup de théâtre final époustouflant, magistral hommage au 1984 de George Orwell, qui concrétise enfin la dimension dystopique du film. Ce qu'on attend d'une dystopie, c'est une oeuvre qui captive par l'intensité de son intrige, qui dérange par l'actualité de son propos et qui se dote d'un fort message anti totalitaire: voyez V pour Vendetta ou lisez Farheneit. Brazil contient certes quelques scènes géniales de créativité et criantes de vérité, elles restent malheureusement peu exploitées: le film est plus, au final, une sympathique comédie anglaise très kitsh au parfum dystopique qu'une véritable contre utopie.