Gatsby s’empare de la démesure d’un homme et d’une époque pour, à terme, consacrer leur échec à obtenir satisfaction et à effacer les années d’absence. Ces années, moins de cinq, au cours desquelles notre héros éponyme s’est vu éloigné de la femme qu’il aime, Daisy – temporalité symbolique en ce qu’elle rejoue, sur le plan de la fiction amoureuse, celle, historique et avérée, de la Première Guerre mondiale, étalée sur plus de quatre ans. La multiplication des récits relatant l’origine prétendue du milliardaire, les décorations militaires de ce dernier, les études prestigieuses, tout cela nous révèle deux choses essentielles : la nécessité de mentir aux autres ainsi qu’à soi dans l’espoir d’oublier le passé biographique, la nécessité de mentir aux autres ainsi qu’à soi dans l’espoir d’oublier le traumatisme d’un affrontement armé international dont les flashbacks échappent à l’image éclatante des fêtes.
L’idée de libération défendue par les Années Folles se décante ainsi en le personnage même de Gatsby, showman et mythomane dont les spectacles divulguent aux yeux du public ses névroses, sa solitude et son impuissance fondamentales. La séquence de révélation, dans une suite luxueuse du Ritz, fait sortir de l’ombre un monstre aux accès de fureur terrifiants, un être que poursuivent sans relâche ses origines ouvrières ainsi que la conscience de ne pas appartenir à l’aristocratie américaine, jamais. Avec brio, la mise en scène de Baz Luhrmann répète trois fois une séquence de fête, mais en veillant à en obscurcir la portée à mesure que s’accélère l’engrenage tragique : la première est marquée par son aspect dionysiaque, la deuxième par sa tonalité mélancolique – la chanson « Young and beautiful » de Lana Del Rey est reprise en live –, la troisième par la ruine environnante.
Aussi, ceux qui se plaisent à l’attaquer, la qualifiant de faux chic et de toc, l’accusant même de conforter les valeurs que le romancier Francis Scott Fitzgerald entendait dénoncer, n’ont strictement rien compris ni à l’ambition esthétique du présent film ni à celle qui gouverne toute l’œuvre du cinéaste. Le faste initial s’estompe pour disparaître. Ne reste plus que le narrateur, en charge de raconter une histoire qui vient de se produire sous nos yeux, traduction à l’écran de la dernière phrase du livre reprise à l’identique par le film : « C’est ainsi que nous avançons, barques luttant contre un courant qui nous rejette sans cesse vers le passé ». The Great Gatsby revient à son point de départ, atteste l’échec de son héros mais pas l’échec de son histoire, puissante réflexion sur le désir de l’individu qui, par définition, ne saurait être assouvi, ainsi que sur les artifices qu’il déploie pour espérer et qui l’enferment davantage encore dans sa forteresse de solitude.
Par ses artifices grandioses, le cinéma de Baz Luhrmann réussit deux exploits : prolonger l’âge d’or hollywoodien qu’incarnaient ces grandes fresques de plusieurs heures aujourd’hui vénérées, plonger au plus profond de l’humain. Et s’il parvient à marier les deux et atteindre la grâce, c’est parce que ses films, au-delà d’être des modèles dans l’art de raconter une histoire, mettent en scène des conteurs qui rappellent le caractère essentiel de la transmission d’un récit porteur de valeurs communautaires et utilisant pour cela la magie d’un lieu ou d’une terre, les passions qui animent les personnages et les péripéties qu’elles occasionnent. Un chef-d’œuvre. La vérité dans l’artifice.