Fort du succès retentissant des Affranchis, cinq ans plus tôt, Martin Scorsese reprend les armes, main dans la main avec l’écrivain Nicholas Pileggi pour dresser le portrait grandiloquent de l’époque faste d’un Las Vegas plus que jamais dominé par la pègre. Les codes sont sensiblement les mêmes chez Scorsese, violence extrême, luxure et décadence. Sans doute plus cossu, dans sa forme, que les Affranchis, Casino n’en reste pas moins une œuvre semi-didacticiel sur l’exercice mafieux dans l’univers américain des années 70 et suivantes. Le réalisateur quitte son New-York natal pour s’atteler à mettre en lumière les tactiques, manigances qui régissent l’enrichissement d’individus peu moraux sur le dos de l’industrie du jeu au Nevada. Las Vegas, terre promise pour les bookmakers, gangsters opportunistes et femmes fatales, tous à l’appât de gains mirobolants d’une accessibilité encore jamais vue auparavant. C’est là que tenteront de bâtir leurs empires le book juif, petit protégé de la mafia du Midwest, le gangster ultra-violent à la recherche de notoriété et la femme objet dans toute sa splendeur.
Nettement plus fastueux encore que précédemment, Martin Scorsese use en abuse, pour notre plus grand plaisir de compréhension, d’une voix-off indispensable. Chacun y va de ses anecdotes, tissant une toile imparable autour du petit monde de Ace, Nicky et Ginger, trio sublimer par la distribution des rôles, coupable à la fois d’opportunisme et d’individualisme. Si le trafic de drogue marquait le déclin des affranchis en 1990, c’est ici une femme qui sera synonyme de fin pour la luxuriante carrière criminelle de nos deux intéressés. Conviés à engranger un maximum d’oseille par les pontes du milieu, sans faire de vagues, les bêtises conjugales et criminelles de chacun bouleverseront à jamais leurs quotidiens respectifs. Sans doute moins culte que les Affranchis, toujours le même film, Casino, plus langoureux, approfondi son sujet sans jamais cesser d’établir un constat brûlant et pessimiste. L’Amérique capitaliste semble alors appartenir à celui qui fait régner son propre code moral, à l’immigration européenne et autres visionnaires trop peu honnêtes pour à jamais ne plus rentrer dans le droit chemin.
L’appât du gain est un tel moteur dans l’œuvre de Martin Scorsese que les portraits de truands qu’il dresse, à maintes reprises, sont toujours chics, démesurés, mais jamais ni romantiques ni mélancoliques. Tout ici n’est que violence, noirceur, jamais le réalisateur ne permet à ses comédiens de s’apitoyer, bêtes de somme qu’ils sont, costumés comme à la parade mais toujours d’un charisme sans précédent. Si parfois le réalisateur penche vers la caricature mafieuse, ici les boss terrés dans un tripot de Kansas City, à aucun moment vient à l’esprit une quelconque forme d’humour. Notons que si le film est hautement dramatique, le ton donné est plutôt léger, un paradoxe avéré alors que l’on assiste finalement à une exécution finale parmi les plus violentes et cruelle de l’histoire du septième art. Scorsese alimente un récit fleuve de toutes sortes d’allusions, de fioritures qui ne prétéritent pourtant jamais la bonne lecture de l’œuvre dans sa globalité, portrait glaçant et oh combien passionnant d’un univers hors de portée, soyons-en rassuré.
Si la prestation de Sharon Stone à bien failli lui rapporter une statuette bien méritée, soulignons que Casino n’aurait rien été de tout cela sans cette formidable composition des habitués que sont Robert De Niro, ici la victime dorée, et Joe Pesci, acteur légendaire pour trois raisons, soit Raging Bull, Les Affranchis et Casino. Violent, élaboré avec une minutie toute particulière, cette œuvre dantesque marque la franche notion pessimiste qu’à la réalisateur natif de Little Italy de son pays et du dénommé rêve américain. La séquence finale, qui voit l’ex gérant crapuleux du Tangiers regretter la gestion des établissements de jeu par la pègre et qui constate simplement que la mafia passée, c’est finalement les multinationales qui s’emparent du marché, avec les mêmes techniques financières, est un excellent épilogue à un film aussi important dans le patrimoine cinématographique que dans le cœur de fan de maestro italo-américain. Sublime et encore et toujours sublimé par un aura à jamais collé aux basques des œuvres de l’un des maîtres du cinéma contemporain. 18/20