Ayant revu hier "Casino" pour la énième fois, je me devais de parler enfin de ce monument. Considéré à raison comme l'une des œuvres les plus réussies de Scorsese, Casino est sûrement l'un de ses films les plus profonds, mais aussi celui où son style atteint son paroxysme. Sur le plan formel, Casino est révolutionnaire : Scorsese nous livre un montage des plus enivrants et des plus techniques, influencé par des cinéastes auxquels il se réfère (Eisenstein, Poudovkine, Truffaut,...), en utilisant toutes sortes de méthodes (fondus enchaînés, alternance dans la voix off, arrêts sur image,...). De plus, sa mise en scène virtuose, son choix des couleurs et son audace narrative (45 premières minutes décrivant minutieusement le fonctionnement des casinos, au moyens de travellings d'une fluidité époustouflante) ne font que renforcer cette patte visuelle qui fait de Scorsese l'un des cinéastes les plus brillants de la seconde moitié du XXème siècle. Mais Scorsese ne se limite pas à ces prouesses techniques, au contraire, il nous offre avec Casino l'un des ses films les plus personnels dans lequel on retrouve les thématiques de prédilection du cinéaste. L'histoire de Casino est celle de Ace Rothstein (De Niro, au sommet de son art), un handicapeur propulsé gérant de casino à Las Vegas par des mafieux de Chicago, ainsi que de son ami Nicky Santoro et de sa femme Ginger. En nous contant sa trajectoire, Scorsese nous fait découvrir les arcanes de Las Vegas, qu'il filme comme la Ville du péché, personnifié par le personnage de Nicky (Joe Pesci, d'un cynisme et d'une violence terrifiante) représentant la violence, et par Ginger (Sharon Stone, d'une beauté inoubliable), représentant la folie de l'or et la vénalité.
L'un des thèmes majeurs dans la carrière de Scorsese, et plus particulièrement dans ses premiers films (Mean Streets, Taxi Driver, Raging Bull), est l'idée de montrer des personnages en quête d'une élévation spirituelle, des personnages torturés, qui aspirent à la bonté et à la pureté mais qui sont confrontés à un environnement vicié, contre lequel ils vont devoir se battre pour ne pas être corrompus à leur tour. Casino illustre magnifiquement ce thème. Tout au long du film, Ace montre son désir de mener son casino dans la plus pure légalité, d'obtenir sa licence, de ne pas faire de vagues, tandis que Nicky le décrédibilise en l'associant aux yeux de tous à ses magouilles, et que Ginger le dépouille de tout l'argent qu'il a rudement gagné. Ce thème est notamment illustré dans la dernière partie du film, où figurent des séquences parmi les plus poignantes et les plus intimes filmées par Scorsese, comme les disputes entre Ace et Ginger, qui ne font que nous rendre plus attachant ce personnage de Ace, l'un des plus bons de l’œuvre scorsesienne, qui essaie tant bien que mal de mener sa barque, dans un monde où l'amour n'a pas sa place et où seuls l'argent et la violence règnent. La fin du film est d'ailleurs une morale implacable sur ce thème :
Nicky qui a vécu toute sa vie dans la violence la plus décomplexée, finit battue à mort par ses propres associés et Ginger, qui rêvait de pouvoir et d'argent, finit sans le sou, dans un hôtel miteux. A la fin, seul Ace s'en sort, il réussit par miracle à s'extirper de sa voiture avant qu'elle n'explose et est éjecté de Las Vegas. Scorsese filme cette retraite comme une intervention divine, Ace est renvoyé à la case départ, comme si la solution de l'élévation spirituelle était de ne pas retourner dans cet univers néfaste, qui n'est pas fréquentable pour les hommes de bien.
Pour finir, j'aimerais encore une fois souligner le jeu des acteurs, tous exceptionnels, ainsi que la sublime BO (Bach, Delerue, The Animals,...). En bref, avec Casino, Scorsese nous fait vivre un grand moment de cinéma et nous tient en haleine jusqu'à la dernière scène, apogée dans la carrière du maître, le regard caméra de De Niro, bouleversant et sublimé par la musique éternelle de Georges Delerue.