Le Cinéma peut-il dépasser le réel? Une question dont on a la réponse très souvent. Au cinéma, on peut voir des héros sauver une vie, une ville ou même la planète quelque soient les obstacles rencontrés. La réponse est donc OUI et ce malgré les surprises que peuvent nous réserver l'existence. Le cinéma peut faire ça. Mais se contenter de répondre à cette question en un seul point serait bâcler grandement la démonstration. Quel est le rapport avec JFK, me direz-vous? Prenons les choses autrement. On sait déjà que l'on peut créer des modèles d'humanité et d'altruisme là où la réalité nous laisse parfois pantois devant la complexité de nos "héros". Mais peut-on en fabriquer un nouveau basé sur un personnage réel qui lui est bien plus ambigu?
C'est l'une des grandes leçons que l'on retient du "film polémique" d'Oliver Stone. Indépendamment du fait que l'on connait tous la raison principale du "scandale", on pourrait en oublier une autre, aussi importante d'un point de vue cinématographique. Qui est vraiment Jim Garrison? Ou plutôt quel Garrison voit-on vraiment dans JFK? La question mérite d'être posée. Suit-on pendant 3 heures la reproduction exacte du Garrison réel? Une partie de lui? Ou bien la vision d'Oliver Stone? Oliver Stone lui même? Difficile de trancher, le réalisateur mêlant des éléments de l'enquête menée en 1967 par le vrai Garrison, avec ses ajouts personnels. Il omet également de s'étaler sur certaines pistes que le procureur a suivi, à tort (chose que ce dernier a lui même reconnu). Que nous montre donc Oliver Stone? Au sujet de Garrison, objectivement, on ne saura jamais. Mais son entreprise est bel et bien double: il a choisi de faire une fiction de son personnage réel, et d'arracher le réel à la fiction, issue elle-même du réel. Quelle fiction issue du réel? Eh bien, celle de l'assassinat du président Kennedy pardi ! Car il s'agit bien pour Stone de faire la lumière sur l'un des évènements les plus marquants de l'Histoire américaine.
Que nous a appris le réel? Que le président Kennedy fut abattu par un dingue solitaire, Lee Harvey Oswald, le 22 Novembre 1963. Qu'est ce que la "fiction" de Stone nous apprend? Que les faits sont loin d'être aussi simples. Bel euphémisme. En décidant de décortiquer chaque point, chaque évènement, chaque protagoniste avec une précision quasi chirurgicale, le but avéré du metteur en scène est de boucler une enquête entreprise depuis des décennies. Et franchement, il y arrive haut la main. Ses arguments? Tout d'abord, cette volonté de ne pas faire de compromis avec le sujet...Ou si peu. Les quelques scènes intimistes (romancées, sûrement) entre Garrison et sa famille, sont aléatoirement intéressantes.
En dehors de ça, on ne décolle pas les yeux de l'enquête du procureur. On est littéralement soufflé, imprégné, fasciné par l'affaire tant elle nous semble proche (qui n'a jamais entendu parler de ce jour de Novembre 63?). Le réalisateur n'a pas hésité à faire long pour aller jusqu'au bout, mais insuffle un tel rythme à son film qu'on ne voit pas les 3 heures passer. Il ouvre avec JFK une ère d'expérimentation. Montage survitaminé, vraies images d'archives, reproductions, noir et blanc, couleurs vives (la photographie de Robert Richardson est incroyable). Les 180 minutes filent à toute allure, et pourtant jamais on ne fatigue. Ce jeu de superpositions permanents achèvent d'épouser le problématique du film, voyant la fiction et la réalité se mélanger jusqu'à ce qu'on ne sache plus bien séparer les deux.
Son autre arme est elle aussi de taille: le casting. Kevin Costner remporte tous les suffrages avec le personnage de Garrison. D'un charisme et d'une humanité à toute épreuve, sa composition fait des merveilles. Sans aucun doute son plus grand rôle (son long monologue, lors de la dernière partie, aurait dû le placer instantanément aux Oscars). Il est secondé par une équipe d'interprètes de premier ordre (Tommy Lee Jones, Gary Oldman, Michael Rooker, Sissy Spacek, Donald Sutherland et tant d'autres...), qui livrent des performances d'une force impressionnante. La musique de John Williams se fond parfaitement dans cet univers d'investigation, chose d'autant plus remarquable que le risque de nous faire décrocher était présent. Une œuvre colossale, incroyablement documentée, saisissante. A tel point qu'une fois le film fini, on se demande comment un tel travail d'information n'a t-il pas été fait avant? C'est la dernière chose que l'on retient de JFK. Cette critique sous-jacente du journalisme qui semble avoir déposé les armes devant l'ampleur de l'évènement, oubliant par la même l'une de ses raisons d'être: informer, rendre compte des faits. Un film important donc, pour les bonnes comme les mauvaises raisons.