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Fêtons le cinéma
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4,0
Publiée le 26 septembre 2021
Que Julianes Sturz in den Dschungel soit réalisé et raconté par Werner Herzog le tient écarté de tout pacte autobiographique et des lois qui le régissent ; aussi le postulat adopté par le long métrage fait-il de la fiction un moyen d’accéder à la réalité, la duplication artificielle du martyre enduré par Juliane Koepcke réveillant en elle des blessures profondes qui disent quelque chose de l’homme en prise avec la nature, en prise avec sa nature.
La reconstitution proposée par le cinéaste permet de sonder le traumatisme de la biologiste qui persiste en elle malgré les apparences et qui rejaillit sans excès, par petites touches successives – un mot, un silence, un geste. En outre, elle est un prisme par lequel Herzog explore sa propre condition de rescapé, le cinéaste disposant d’une réservation sur le même vol mais qu’il ne put honorer. Le recours à la fiction, qui n’hésite pas à amplifier voire à inventer des situations entre rêve et réalité, transforme la survivante en un héros à part entière, convertit une vie singulière en une trajectoire légendaire.
La jungle constitue un cadre naturel à mi-chemin entre la bestialité et l’onirisme : les débris de l’avion semblent sortir de terre à mesure que Koepcke se remémore l’accident ; l’Amazonie est le conservatoire infini du monde et de son Histoire, une mémoire vivante dont la densité, faite de méandres et de sinuosités, cartographie un espace intérieur. L’héroïsme de la biologiste, bien loin de celui que mettait en scène une piteuse série Z de 1974 (I Miracoli accadono ancora, réalisé par Giuseppe Maria Scotese), n’advient que par la conversion d’un statut de témoin à celui de personnage d’une histoire universalisable dans laquelle s’accomplit une destinée au fil des épreuves.
Juliane Koepcke entretient avec la jungle une relation privilégiée, elle semble en communication avec elle, mieux en communion ; elle doit sa survie à une connaissance du milieu dans lequel elle fut contrainte d’évoluer, connaissance que le cinéaste présente comme quasi magique – voir ces plans sur la biologiste couverte d’insectes –, relecture proposée par Herzog à partir du simulacre qu’il met en place et qu’il commente en qualité de narrateur. Une œuvre dense et passionnante qui investit le documentaire avec une intelligence rare.