"Le Orphée moderne !"
1994. “The Crow” d’Alex Proyas - au-delà d’être devenu le film culte de toute une génération - prophétisait, lors de la nuit du diable, sur la déliquescence de notre société. Le gangster Top Dollar (Michael Wincott) et ses sbires synthétisaient à eux seuls, l’abyssale violence d’une cité en proie aux émeutes et aux meurtres, dues entre autres aux trafics de drogues gangrénant la ville de Détroit. Trente ans plus tard, la dystopie a laissé sa place à la réalité. Le Gothique des églises et des cimetières, chez Alex Proyas, est remplacé par des friches industrielles. Les luxueux appartements, les immeubles cossus et les lieux artistiques (le théâtre notamment) d’une sorte de Gotham City, contrastent avec la prison de réhabilitation que nous présente Rupert Sanders (“Ghost in the Shell”). Derrière ces murs institutionnalisés, une jeunesse désespérée tente d’expier ses fautes à grand coup de brimades et autres placebos. Et c’est de là que va naître une idylle magnifique entre Eric (Bill Skarsgard) et Shelly (FKA Twigs). Malheureusement, le passé de Shelly va refaire surface… Il n’y aura pas une autre nuit du Diable dans cette version nihiliste de “The Crow”, mais en revanche, le Diable - ou plutôt son émissaire sur terre - sera bien présent en la personne de Vincent Roeg (Danny Huston), dont le rôle serait une sorte de dérivé à Marlow, le personnage qu’il incarnait dans “30 jours de nuits”. Cet homme d’affaires aristocrate et mélomane portant dans son regard une insondable noirceur a vendu son âme en échange de la vie éternelle, mais ce pacte a un prix. Les adeptes de son culte satanique arpentent les ruelles sordides de la ville en quête de proies innocentes pour abreuver les enfers. Inclure dans le récit une figure diabolique telle que celle de Roeg (même si l’on aurait aimé plus d’explications), est un parti-pris gagnant. En effet, en s’éloignant avec justesse du matériau d’origine, les scénaristes Zach Balin et William Schneider (toujours d’après les comics de James O’Barr), permettent au film d’aller au bout de sa propre mythologie, car de mythologie, il en est question dans “The Crow” (2024), le personnage de Cronos (Sami Bouajila), en atteste. Reste la géniale interprétation (avis perso) de l’acteur Bill Skarsgard (Eric, rien qu’Eric, puisque le patronyme de Draven ne sera jamais prononcé dans le film, pour toujours plus se démarquer), qui, en amant maudit habité par son rôle d’esprit vengeur, va alterner le calme et la fureur par une posture schizophrène remarquable. Loin de la purge tant attendue, ou plutôt tant espérée par d’aucuns, Rupert Sanders nous livre une tragédie shakespearienne ultra-graphique et parfois gore, une relecture de “Roméo et Juliette” aux accents Faustiens !