Le sacrifice qui ouvre Prometheus, et que réalisateur et monteur ont raccourci afin d’en décupler le mystère, porte en lui tout le substrat théorique et philosophique à l’œuvre non seulement ici, mais surtout dans l’entièreté de la filmographie de Ridley Scott : il représente la destruction à l’origine de la création, la mort génératrice de vie. Là réside l’essence d’une vision d’auteur, ainsi que le point de départ du présent long métrage puisque c’est Peter Weyland qui, confronté à sa disparition imminente, entreprend un voyage spatial dans l’espoir de rencontrer son Créateur et, ce faisant, d’obtenir la vie éternelle. La désintégration du corps annonce l’importance de l’organique dans le film et décline une thématique déjà opérante dans Blade Runner (1882) ou 1492: Conquest of Paradise (1992), avec son Christoph Colomb vieillissant qui assistait, à terme, à la consécration d’un autre que lui. Weyland se caractérise d’ailleurs par sa peur de la mort, explicitée par le dialogue qu’il a avec sa fille Meredith Vickers : il apparaît tel un roi déchu qui refuse pourtant de céder son trône et sa couronne, qui ne veut pas s’avouer vaincu. Sa prise de contact avec l’Ingénieur, forme d’intelligence supérieure contenue dans le nom qu’on lui donne – ingénieur vient du latin ingenium, le « génie naturel » dû à la naissance –, le laissera gisant sur le sol avec comme unique réponse « il n’y a rien ». Nous percevons là le nihilisme de Scott, que les personnages habillent de leurs fictions personnelles et de leurs croyances, que le cinéaste lui-même aborde à la manière d’un grand spectacle envoûtant et visuellement superbe. La croix que revendique Elizabeth Shaw, d’abord à David puis à Charlie, le santon qu’accroche Janek à l’arbre de Noël et son attachement à ladite fête religieuse, les roches qu’aime le géologue Fifield, tous interprètent le monde et lui donnent une signification qui n’est, en réalité, que la construction individuelle d’un sens général. Sens que nie ouvertement David lorsqu’il ne comprend pas l’intérêt que porte le docteur Shaw à la question de la Création : « pourquoi les Ingénieurs souhaitent-ils nous détruire puisqu’ils nous ont créés ? » La motivation perçue par David et que n’accepte pas Shaw est explicitée en amont : « parce qu’ils en avaient la possibilité ». L’humanité ne serait alors qu’une boîte de Petri dans laquelle sont mis en culture des micro-organismes, des bactéries ou des cellules ; elle ne serait qu’une expérience, à l’instar de celle réalisée sur LV-223, planète-laboratoire sur laquelle les créatures se sont retournées contre leurs inventeurs. À l’origine de la vie, donc, un hasard, une somme de circonstances sans causes profondes ni intérêts véritables. « Les grandes choses ont de petits commencements ». Prometheus est un immense film de science-fiction, magistralement réalisé et fort d’un nihilisme fécond à l’origine d’un divertissement pur.