En Chine, dans les années 20, l'*Express Bleu* (titre original du film) embarque riches et pauvres, Européens et Chinois vers une destination encore floue ? Allons-nous en direction d'un avenir similaire et sombre où les aisés célèbrent sur le dos détruit des malheureux du dernier wagon, ou embraquons-nous vers un avenir révolutionnaire et renversant à l'image de cette forte et dernière phrase : « La voie est libre ». La voie est enfin libre oui, et c'est a bord du *Train mongol* sorti en 1929 et signé par Ilja Trauberg que l'on contemple le difficile dégagement de la route. Cette acte révolutionnaire construit entre conscience des classes et conception communiste, se mêle à l'action et à la tension que le film articule. Ancêtre de *Snowpiercer* ou du *Dernier train pour Busan* (l'horreur en moins), *Le Train mongol* d'Ilya Trauberg élabore une véritable lutte des classes au cœur d'une machine lancé à grandes vitesse. Épique et idéologique se mélangent pour construire un imaginaire réaliste.
Les hiérarchies et les parallèles sont forts dans *Le Train mongol*. Les numéros de wagon se dessinent en fonction de l'élégance et de l'insouciance qui les peuplent. Le constat est encore plus puissant lorsque Ilya Trauberg superpose l'euphorie et l’ivresse des premiers du train face au macabre quotidien des derniers. Ces mains abîmées, ces jambes démolies et ces visages fatigués qui, à même le sol poussiéreux du wagon, regarde la caméra de Trauberg dans une expression traumatisée, mais en même temps consciente. Consciente peut-être de la situation actuel certes, mais surtout consciente des heures à venir. Des heures cruciales où premiers et derniers s'homogénéiseront. Bien que le cœur de cette tension palpable vienne de ce diplomate anglais assoiffé de gloire et maître des militaires Chinois, l'introduction de ce point d'orgue révolutionnaire vient surtout de ce duo Européen dont le voyage se réalise dans le dernier wagon. Deux ivrognes insupportables - d'ailleurs gardien de l'unique boisson de ce misérable espace - qui se mettent subitement à accroître leurs terrible puissance étrangère en tentant de violer une jeune fille. Un acte horrible au beau milieu de cet entassement de femmes, d'hommes en d'enfants, s’avérant comme cette fameuse goutte d'eau faisant déborder le vase. Armés de leurs poings puis inévitablement des armes, les derniers du train - ou de la société - commencent à remonter les wagons structurelles d'une Chine misérable jusqu’à atteindre la reconnaissance et ainsi déblayer le chemin obscurci.
*Le Train mongol* tire son éblouissement dans cette action et cette maîtrise d'un montage révélateur des battements de cœur de ce train. Le rythme du train est en connexion perpétuelle avec la tension qui s'élabore en son sein. Contemplation de la structure des inégalités dans un premier tant lorsque l'*Express Bleu* est arrêté en gare, puis une ébullition révolutionnaire qui s'envahie des esprits une fois que le train se lance. La coalition entre l’extérieur et l'intérieur de ce train peut aussi se démultiplier dans des points de vues différents : les battements des roues harmonisent les danses et la musique des premiers wagons, au même titre qu'ils augmentent l'énervement qui s'empreigne des derniers. Ilya Trauberg construit son impressionnant montage en l'articulant perpétuellement avec la révolution qui s'élabore. Mais l’impressionnant voyage se vit aussi à travers ces vertigineuses scènes d'actions donnant du volume à un récit déjà riche. Ilya Trauberg s'admire tel un initiateur du cinéma réaliste et mouvementé de Bong Joon-ho. Un cinéma très intéressant où les pensées idéologiques se conjuguent à un dynamisme envoûtant et captivant du présent. Un moyen bien-sûr de construire son blockbuster en une véritable oeuvre engagée et ainsi, redorer son blason.
Une oeuvre vieille de près de 90 ans, et pourtant toujours aussi moderne et riche d'analyse. *Le Train mongol* ou l'*Express bleu* de Ilya Trauberg se dessine comme une véritable inspiration d'un cinéma moderne qui captive tant. J'ai souvent évoqué dans cet écrit le cinéma de Bong Joon-ho avec en particulier *Snowpiercer*, mais il serait évident aussi de nommer *Joker* de Todd Phillips. Un long-métrage qui évite de tomber dans le cadre horripilant du cinéma héroïque, au profit d'un cinéma engagée et conscient qui se dresse et se construit en accord avec son temps. Un temps où les soulèvements populaires se développent et où la figure des délaissés s'élabore dans de vrai lutte tentant tant bien que mal d’éclaircir un avenir.