Presque trois heures de Tarkovski, c’est sûr, il faut être prêt à assumer. Mais le film le mérite bien. Comme "2001, l’odyssée de l’espace", "Solaris" aborde la conquête spatiale en la plaçant en parallèle avec l’exploration intérieure de l’homme. Monolithe ici, Océan de Solaris là : l’infini du cosmos est d’abord celui de ses abysses personnelles, une rencontre avec le mystère, avec l’insondable. Les hublots de la station spatiale sont des miroirs qui renvoient aux personnages leurs propres fantasmes, leurs interrogations, leurs douleurs. Pour Chris Kelvin, le personnage principal, la quête scientifique incarnée par ses collègues Slaoute et Sartorius s’efface vite devant la quête du sens de la vie et le regret de sa femme disparue, que l’Océan lui renvoie dès son arrivée. Plus sobre que Kubrick (ses moyens sont aussi bien moindres), Tarkovski n’en est pas moins un maître. Caméra souveraine dans la lenteur de ses déplacements, beauté des décors y compris dans les détails des accessoires, utilisation magistrale de la musique et des bruitages (la traversée en voiture de "la ville", Tokyo), ellipses et enchaînements inattendus... Bien plus qu’un trip intello-spatial, "Solaris" est une expérience sensorielle planante, à l’image du choral-prélude de Bach qui le scande: intimidant par la rigueur de sa composition, sa hauteur de vue et son apparence lisse et géométrique, mais d’une humanité poignante et d’une indicible mélancolie. Une leçon, à côté de laquelle le remake récent de Soderbergh, pourtant pas honteux, fait pâle figure.