Lent et contemplatif. Fascinant et probablement déroutant pour qui n'a pas lu le roman source de Stanislaw Lem. Complexe, donc, mais globalement moins hermétique que bien des films de Tarkovski.
Le genre de la science-fiction semblait a priori éloigné de l'univers du cinéaste qui avait signé précédemment L'Enfance d'Ivan et Andreï Roublev. Mais voici ce qu'il en disait : "En une époque aussi dépourvue de spiritualité que la nôtre, c'est un substitut valable, qui peut jouer un peu le même rôle que l'art religieux en d'autres temps." Au final, avec 2001 : l'odyssée de l'espace, Solaris apparaît comme l'un des fleurons de la SF métaphysique. C'est aussi, en quelque sorte, la réponse russe au film américain de Kubrick, sorti quatre ans auparavant, en pleine période de conquête spatiale et de tension internationale.
Tarkovski adapte assez fidèlement le bouquin de Lem, à l'exception notamment du prologue (situé dans la propriété familiale de Kelvin, alors que le roman commence par le voyage spatial), de la première apparition d'un "visiteur" dans la station (une fillette au lieu d'une grande femme noire) et de la scène d'anniversaire dans la bibliothèque (contemplation d'un tableau de Bruegel et moment d'apesanteur ne figurant pas dans le livre). Le discours scientifique est synthétisé et sert de tremplin à une réflexion sur le rapport de l'homme à l'inconnu. "L'homme et la conscience humaine rencontrent dans l'espace des phénomènes inconnus, disait Tarkovski. Mais quelle est la mesure de la morale pour définir le visage humain dans ce nouveau système de coordonnées ? Comment rester un homme dans une situation inhumaine ?" Parmi les phénomènes rencontrés sur Solaris, il y a l'apparition de ces "visiteurs", matérialisation des souvenirs que les hommes gardent de personnes connues, vivantes ou mortes, projections de leur mauvaise conscience ou de leur inconscient. Ainsi le personnage de Kelvin retrouve-t-il à ses côtés sa femme, qui s'était suicidée dix ans plus tôt. Cette belle idée dramatique accouche de quelques scènes illustrant l'opposition entre raison et sentiment, le poids de la culpabilité, les forces de l'inconscient. Face à l'inconnu et à l'incompréhensible, il est aussi question du savoir humain et de ses limites, de la prétention des hommes à vouloir tout maîtriser (y compris ce qui les dépasse), de leur volonté d'étendre les limites de la Terre à l'immensité du cosmos.
En matière de style, le réalisateur joue la carte d'une austérité symbolique, à mille lieues des canons spectaculaires du genre. Le résultat est d'une beauté singulière. Rythme envoûtant, filtres de couleur, images quasi abstraites de liquides et brouillards en mouvement. Tout cela sur une musique empruntée à Bach, avec quelques références picturales (Bruegel) et littéraires (Faust, Don Quichotte ; Dostoïevski, Tolstoï).
Le film a connu un accueil réservé en URSS à sa sortie, mais fut récompensé à Cannes du Grand Prix spécial du jury en 1972. Une autre adaptation du roman de Stanislaw Lem a vu le jour trente ans plus tard, réalisée par Steven Soderbergh, avec George Clooney dans le rôle principal.