Aujourd'hui que les superproductions Marvel sont devenues aussi prévisibles que les changements de saison et que l'émerveillement des premières fois a disparu depuis longtemps, il est devenu presque plus important pour elles de trouver un "prétexte" que de défendre un "contenu". Blockbuster de l’ère post #Metoo, le principal titre de gloire de ‘Captain Marvel’ est de proposer une héroïne “féminine” - ce qui ne va déjà pas de soi dans le microcosme superhéroïque - mais également “féministe’, qui soit un symbole vivant d’empowerment féminin...et on peut concéder à Marvel de s’en être tenu à cette logique jusqu'au bout. Outre qu'on s'amusera à noter tous les clichés du patriarcat inconscient auquel doit faire face la jeune femme, même dans le contexte hors-normes qui est le sien, on remarquera que pour une fois, aucune romance ne vient contaminer l’ensemble, là où le ‘Wonder woman’ de chez DC, qui comptait effectivement sur son héroïne badass et indépendante pour se distinguer, sacrifiait à la force de l’habitude et au poids de la tradition, qui exige que derrière chaque femme de pouvoir, et au moins dans sa tête et son petit coeur sensible, il y ait un homme. Par ailleurs, Carole Danvers, qu'elle soit pilote de chasse ou guerrière galactique, n’est jamais présentée comme un objet sexualisé : elle a ses objectifs, ses rêves, ses dilemmes et ses démons, mais les hommes n’en font de toute évidence pas partie : il suffit de voir comment elle traite avec une sympathie distante un jeune Nick Fury, pas encore devenu maître-manipulateur et spécialiste ès paranoïa. En tant que mâle blanc hétérosexuel, j’ai évidemment le droit inaliénable de me foutre éperdument des considérations de ce genre, autant que du casting intégralement noir de ‘Black panther’, et de considérer qu’à l’instar de ce dernier, ‘Captain Marvel’ est un film de super-héro(ïne) qui assure le spectacle et le plaisir du spectateur mais n’en reste pas moins très conventionnel. Pour moitié, il s'inscrit dans la variable science-fictionnelle, ou plutôt space-opératique de l'univers Marvel, à l'instar des 'Gardiens de la galaxie’ mais en moins ludique. D’un autre, là où Starlord et ses comparses multipliaient les allusions et les références aux années 80, Captain Marvel se déroule au milieu des années 90, et reprend efficacement les codes, l'atmosphère et les références rock - exclusivement féminines! - de cette époque, tout en adoptant la forme d’une sorte de buddy-movie à personnalités dissemblables. Ceci dit, le film a quelques autres atouts à faire valoir: il comble notamment les dernières zones d'ombre de la chronologie Marvel et parvient à gérer correctement l"omnipotence" du personnage puisque dans son dernier tiers, Danvers devient Captain Marvel, entité surpuissante et indestructible qui n'a rien à envier à Superman...et on sait que les dieux vivants aux pouvoirs absolus, super-héros les moins "humains" qui soient, ne sont plus ceux que préfère le public contemporain. A l'échelle des autres productions Marvel, 'Captain Marvel' s’avère plutôt satisfaisant...mais cela fait un certain temps aujourd'hui qu'on n'a plus eu droit à un film réellement décevant, tant Marvel maîtrise aujourd'hui à la perfection ce genre de spectacle. Le fait qu'un produit culturel de premier plan brise lui-même le plafond de verre qu'il avait contribué à maintenir, sinon à établir, est certes satisfaisant mais uniquement sur le plan théorique : cela n'en fait pas un meilleur ni un plus mauvais film pour autant. Il y a quelque chose d'irritant et même de désespérant au fait qu'en mettant à l'honneur, hier un homme de couleur, aujourd'hui une femme, demain peut-être un nain transgenre, Marvel et le système des blockbusters qu'il a établi et domine aujourd'hui d'une main de fer parvienne à faire oublier que chaque année depuis dix ans, il nous propose presque le même film plusieurs fois par an.