Tandis qu’Anora, Palme d’or 2024, est diffusé à partir d'aujourd’hui, les 4 premiers films inédits en France du cinéaste indépendant, Sean Baker, sont opportunément sortis la semaine dernière. Dans Prince of Broadway, la caméra de Sean Baker suit de près Lucky, un immigrant ghanéen sans papiers qui vit à New York en rabattant des clients dans la rue pour les accompagner dans l’arrière-boutique de Levon, autre immigré libano-arménien, où sont stockés des produits (sacs, chaussures, vêtements) de contrefaçon. La vie de Lucky, déjà difficile et marquée par la précarité, bascule totalement lorsqu’une de ses ex réapparaît sur un trottoir (pour disparaître aussitôt) et lui confie un enfant d’un an, en affirmant qu’il en est le père.
Cette révélation soudaine plonge Lucky dans la confusion, oscillant entre rejet et instinct de protection pour ce garçon dont il ne connait pas le prénom mais qu’il finira par rebaptiser Prince. Ce bouleversement l’oblige à assumer, dans une impréparation totale et non sans heurts, les responsabilités déchirantes d’une paternité dont il doute lui-même. Lucky et Prince vont ainsi évoluer dans une relation complexe, faite de hauts et de bas, de moments de doute et de rapprochements : au fil du film, même s’il se sent prisonnier de cette nouvelle vie, Lucky trouve en cet enfant un réconfort inattendu, une raison d’avancer et en quelque sorte un motif de dignité.
En parallèle, le film suit les difficultés de Levon, le « patron » de Lucky, dont le mariage gris-blanc est en crise. Tandis que Levon tente désespérément de sauver sa relation, il perd son commerce illégal à la suite d’un raid de la police. Tous deux immigrés, Lucky et Levon partagent la solitude, l'incertitude et un charme teinté de désenchantement, et c’est grâce à Prince qu'ils trouvent un lien salvateur dans leurs existences éreintées. Levon, malgré ses propres luttes, finit par encourager Lucky à accepter son rôle de père, trouvant lui-même en Prince une source de réconfort et d’espoir dans une existence marquée par l’échec.
Ce troisième long-métrage de Sean Baker ne suit pas le chemin d’une comédie légère, malgré une situation qui pourrait s’y prêter. Baker filme avec une intensité crue les oubliés de l’Amérique, en l’occurrence l’invisibilité des immigrés des grandes villes américaines et leur lutte quotidienne pour exister dans un monde qui les ignore. Le film révèle la fragilité d’existences marquées par la solitude, la précarité et le poids de l’anonymat. Dans une scène emblématique, Lucky arpente les rues de Broadway, Prince dans les bras, tentant de poursuivre son activité de rabatteur et se demande à voix haute pourquoi personne ne le remarque. Cette question, à la fois personnelle et universelle, est une interrogation sur notre propre indifférence.
Prince de Broadway : un film humain, brut, qui rappelle les liens invisibles qui nous lient.