Je rejoins diverses critiques lues ici : oui, ce film est plastiquement réussi et rend certainement hommage au talent des deux peintres. L'histoire est correctement (quoique assez académiquement) racontée. Alicia Wikander est formidable. Belle, bien sûr, mais tellement impressionnante avec ce regard magnétique qui aimante le film et vampirise toutes les scènes où elle apparaît. Bien sûr, son jeu est trop moderne pour l'époque racontée, mais cet anachronisme joue pour l'histoire, transposant dans nos codes la force de cette artiste qui se joue des contraintes de son époque. L'actrice n'est prisonnière ni de son époque, ni des décors, ni de ses costumes (qu'elle enlève avec beaucoup de grâce). Son personnage aime la vie, le sexe, la peinture et l'amour…
Les seconds rôles sont au diapason : Amber Heard, séduisante, piquante, enlevée. Sebastian Koch, posé et impressionnant, et toujours séduisant malgré une moustache discutable et Mathias Schoenaerts, toujours juste, au service du rôle, empathique et sobre…
Sobre, lui…
Car, il faut bien y venir, il y a un hiatus, énorme : Eddie Redmayne.
Ce type est un mystère. De film en film, il ballade la même dégaine, les mêmes trucs et les mêmes tics appris sans doute lors d'un stage de théâtre, un été, chez les scouts. Agaçant et maniéré, il remplace l'émotion par des yeux perpétuellement mouillés malgré des battements de paupières travaillés chez un coach.
Et, comme il est aussi producteur du film, personne ne peut l'empêcher de passer copieusement à côté du rôle. On oubliera les fautes de raccord, nombreuses : champ : je souris, contrechamp, je ne souris plus, re-champ : je re-souris (sans doute la script était partie vomir). A plusieurs reprises...
Ce qui est beaucoup plus gênant, c'est le contre-sens de sa "performance" (car il "performe" pour l'Oscar, il ne joue ou n'incarne jamais). Bien d'autres films (plus subtils) ont abordé le thème du transgenre et jamais on n'a eu l'idée saugrenue de nous montrer le personnage cherchant à devenir une femme. Il s'agit au contraire de permettre à cette femme qui est enfermée dans ce corps d'homme de sortir et de s'exprimer enfin. Etre une femme, enfin, non pas la singer.
Et ses horribles mimiques, ses gestes pathétiques, sont des insultes à toutes les femmes.
Et que dire de Lili ? A quel moment y croire ? C'est vrai que le côté androgyne de Redmayne pouvait laisser penser que la transformation serait aisée. C'était oublier bien vite son incompréhension profonde de la mission du comédien. Ne comptez pas sur lui pour se faire oublier derrière le personnage. Il en fait des caisses et ça doit se voir ! C'est "Rain Man et Forrest Gump jouent à la maman". C'est Ms Doubtfire revisitée par Jean-Claude Dreyfus ! C'est Sim dans la marquise de la Tronchenbiais ! Bref, Lily ressemble autant à une femme que Michelle Williams à Marilyn !
Et les autres, gentiment, de faire semblant d'y croire…
Et vient la scène (fort crédible, évidemment)
de l'agression homophobe à Paris (tiens donc…). Scène qui a pour but de nous faire ressentir ce que la transformation de Lily a de dérangeant pour certains abrutis à front bas.
Le problème, c'est que cette scène paraît plaquée, pour nous convaincre d'y croire.
D'autres films ont abordé le thème du transgenre, de manière très différente, de ce film sud-américain dont le titre m'échappe qui pose la problématique sous l'angle de la mère, aux outrances du glamrock. A chaque fois, le comédien arrive à rendre son personnage séduisant, touchant, attirant, de manière à questionner l'identité sexuelle profonde du plus hétéro de ses spectateurs.
Là, tout ce qu'on ressent, c'est de la gêne d'abord et finalement de l'ennui, devant toutes ces minauderies, ces afféteries d'un autre âge, devant ces mignardises que Redmayne prend pour du jeu.
Alors on regarde les scènes de loin : tiens, Tootsie va coucher avec Q ? Et, dans la scène où
il masque son sexe derrière ses cuisses,
on éclate de rire en pensant à un personnage haut en couleur de Californication...
Et finalement, on peut aussi ressentir de la colère pour un personnage réel qui, après une vie bien compliquée restera dans l'histoire pour avoir été la victime ridiculisée par cet épouvantail qui, déguisé en homme ou en femme, ne ressemble en rien à un comédien. Victime desservie aussi car au fond,
moi aussi je le verrais bien traité pour perversion
!
Reste donc de ce film les autres comédiens, cités au début, et surtout, j'insiste, la puissance de jeu d'Alicia Wikander qui, malgré tout, reste juste, forte et impressionnante.