Vous savez quoi? Les histoires vraies font de bien meilleurs scénars que tous ceux que peuvent inventer les auteurs les plus imaginatifs. On l'a vu avec Les Chevaliers blancs; mais on va encore beaucoup plus loin avec The Danish Girl, l'incroyable histoire de Lili Elbe /Einar Wegener que Tom Hooper nous raconte avec beaucoup de subtilité et de délicatesse. Il nous fait ainsi appréhender en profondeur ce qu'est un transgenre -une question de personnalité plus que de sexualité, et le malheur de telles existences.Wegener3.jpg
Einar et Gerda (Alicia Vikander) Wegener forment à Copenhague un petit couple d'artistes plutôt en vue. Ils se sont rencontrés aux Beaux Arts; [ils sont mariés depuis six ans quand le film commence]; ils n'ont pas d'enfants. Oh, on se doute bien que c'est elle qui lui a mis le grappin dessus! Elle est battante, dynamique; il est doux, introverti. Elle peint des portraits qui n'ont pas trop de succès, alors qu'elle adorerait être exposée; il peint des paysages qui se vendent agréablement -mais il déteste les mondanités et ne se trouve bien que dans la solitude de son atelier; mais, ce qui est sûr, c'est qu'il s'aime, et qu'ils s'aimeront jusqu'au bout.
Un jour, pour avancer le travail de Gerda sur le portrait d'une ballerine, Einar accepte de prendre la pose. Le bas chair dans le chausson; la mousse du tutu, tout cela éveille chez lui quelque chose, peut être le souvenir d'un trouble qu'il aurait éprouvé étant petit garçon; il essaye des vêtements de fille, cela amuse Gerda qui le trouve charmant, qui a envie de le peintre ainsi travesti, et c'est vrai qu'il est bien jolie.... avec ses taches de rousseur, sous sa mèche rousse, il (en l'occurrence l'acteur Eddie Redmayne) ressemble à Jessica Chastaing. Les portraits de Gerda, un peu à la façon de Tamara de Lempicka, plaisent enfin, mais qui est ce, lui demande t-on? Lili, la cousine d'Einar.
Le jour où c'est Lili qui vient à un vernissage à la place d'Einar, Gerda ne s'amuse plus. Quand elle comprend que Lili se fait draguer, qu'elle sort de plus en plus souvent et qu'elle s'achète des robes, elle ne s'amuse plus du tout. Einar ne contrôle plus rien. Il veut tuer Lili. Les médecins tentent de le "soigner" à grands coups de rayons X bien placés (enfin, mal placés), quand ils ne le traitent pas de pervers qu'il faut interner d'urgence. C'est clair: celui qu'il faut tuer.... c'est Einar. La fille qui dormait en lui c'est réveillée et maintenant elle a pris le contrôle. Enfin, c'est la rencontre, à Dresde, avec le docteur Warnekros (Sebastian Koch) qui lui propose de tenter l'opération. Einar renait sous le nom très freudien de Lili Elbe....
Ce que j'aime beaucoup dans le film de Tom Hooper, c'est qu'il nous fait comprendre ce qu'est Einar /Lili cela avec beaucoup de sensibilité. Des militants transgenres ont reproché à Hooper de ne pas avoir choisi un vrai trans comme comédien! Je ne pense pas du tout que le même film conçu sous un angle militant aurait eu le même impact émotionnel. En remplaçant cette étrange aventure au centre de l'histoire d'amour d'un couple, Hooper a choisi de diverger d'avec la réalité, qui en l'occurrence dépasse la fiction puisque le Einar /Lili historique voulait.... avoir des enfants, et qu'on lui a greffé ovaires et utérus! Vous imaginez cela, en 1930, quand on n'avait aucune notion des phénomènes de rejets, et comment les éviter.... le moins qu'on puisse dire, c'est que le bon docteur Warnekros était un sacré apprenti sorcier.
Signalons, puisqu'on a toujours plaisir à le revoir, que Matthias Schoenaerts incarne un galeriste, grand ami du couple (loin donc des rôles frustes où on l'a beaucoup utilisé
Enfin, Hooper rend aussi un hommage au peintre en ouvrant et en fermant son œuvre par de sublimes prises de vues, tant des bords de cette mer que Einar aimait tant, que de la vaste plaine de l'Elbe. A voir absolument.
NB: Vous trouverez des reproductions d'œuvres de Einar Wegener dans une note du blog.nouvelobs (oeil-du-chat) qui paraitra le 1 février: