Dès l'écriture du scénario, Mathieu Amalric s'est retrouvé confronté à une indécision sur la "nature" de son projet, plus précisément au sujet de cette frontière ténue qui s'exprime entre la fiction et le documentaire. Alors qu'il aurait pu traîner ce trouble comme une appréhension périlleuse et perturber des choix à la fois artistiques et financiers, la réponse qu'il apporte éclaircit ses convictions : "Oui la question s’est posée dès le scénario, puis en préparation en termes de production. Que j’ai de plus en plus de mal à dissocier de la réalisation d’ailleurs. Là où l’on met l’argent, c’est déjà de la mise en scène, c’est là que le film se définit réellement en fait. Qu’on fabrique un dispositif juste. Ainsi, comme il le précise plus loin, c'est de ce flottement qu'est née l'atmosphère du film. Il n'y a pas eu d'étiquette "formelle" à appliquer mais il s'est agit plutôt de reconnaître la mise en place d'un dispositif original. "Et donc on a eu l’intuition que pour préserver l’énergie immédiate, vitale des shows, il fallait mettre en place une vraie tournée. Que la caméra ne suffirait pas aux filles, qu’il leur fallait des salles pleines. Qu’on dormirait dans les hôtels où on tournerait… Du Havre à Rochefort, en passant par Nantes, on a offert un spectacle gratuit aux gens qui signaient une décharge. On n’aurait jamais pu se payer tous ces figurants !
Le rôle du producteur Joachim Zand qu'interprète Mathieu Amalric n'avait pas été prévu pour lui à l'origine du projet. Il nous raconte comment lui est venu la maturation de l'écriture de ce personnage : "J'ai probablement écrit le personnage (...) en réaction à un certain nombre de garçons délicats qu'on m'a fait jouer, à une certaine veine poétique que j'ai moi-même recherché, parfois. (...) J'ai bien vu que je représentais quelque chose, que j'étais pris dans un phénomène générationnel (...) Je me souviens encore de la couverture de Télérama, ma première une, qui disait "Génération fragile", ça m'avait rendu dingue parce que je ne suis pas du tout fragile". Une fois toute la production achevée, il s'est mis à travailler sur autre chose et lorsqu'il a revu le film deux mois après, une facette de son personnage (et de son film) que son esprit avait délaissé, s'est révélée à lui à nouveau: "ça m'a semblé terriblement tendu et désespéré alors que je n'avais que le souvenir de la joie du tournage, de l'énergie des filles, de leur force vitale (...). J'avais effacé de ma mémoire le désespoir du personnage que j'interprète, l'image de quelqu'un qui peut exploser en vol à tout instant". Une image finalement proche des rôles qui l'ont fait connaître, grâce à Arnaud Desplechin en particulier, à propos de qui sa copine lui aurait dit : "Il n'y a que dans les films d'Arnaud que je te reconnais, toi, Mathieu". Comme si cet aspect, filmique, affichait une réalité imparable et significative...
Après son premier film Mange ta soupe (1997) qui évoquait sa famille et après Le Stade de Wimbledon, sorte d'ode à la femme qu'il aimait, on ne peut s'empêcher de penser qu'au sein de l'univers "intimiste" de Mathieu Amalric, le fait de se mettre en scène pour la première fois, en tant que personnage central qui plus est, peut être vu comme une sorte d'autoportrait, "inconscient". Mais au delà de cette question de forme, c'est dans l'écriture du personnage en lui-même, qui lui a demandé une implication éprouvante, profonde et indubitablement personnelle, que transparaît une certaine conception de vie, un message qui définit le cinéaste du mieux possible et qu'il revendique d'ailleurs.
Tournée a reçu le Prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2010.
Tournée est le quatrième long-métrage de Mathieu Amalric qui, avec ce road-trip déjanté, honore l'exposition et la reconnaissance d'une sélection officielle au Festival de Cannes 2010.
C'est à la lecture en 2007, d'un article de Libération qui relate les frasques de ces amazones d'un nouveau genre, que le projet, dans les têtes depuis 2002 (!) a véritablement trouvé son sujet. Depuis qu'il s'était arrêté sur un recueil de Colette comme point de départ, Mathieu Amalric n'avait alors pas encore trouvé les véritables héroïnes qui sauraient retranscrire le goût de l'écrivain pour cette provocation "pleine de santé, déclaration de liberté par le corps, qui la définit si bien". Après un temps de gestation fertile à l'imaginaire, étape "nécessaire" à son processus de création, il s'est finalement décidé à franchir le pas juste après que le producteur indépendant Humbert Balsan se soit suicidé, événement qui lui a "fait prendre de plein fouet la fin possible de ce qui nous constitue" et qui l'a réveillé, lui qui a toujours reconnu une fascination pour l'abnégation et le courage que ces producteurs peuvent avoir.
Le film suit la parcours à travers la France d'une troupe de danseuses adepte du genre du "New Burlesque", né dans les années 90 aux États-Unis. Remis au goût du jour avec la très médiatique Dita von Teese, il s'agit au départ d'un mouvement lesbien, lui-même héritier des pionniers des années 20 et 30 où le burlesque est alors synonyme de satire sociale, numéros musicaux et grivoiseries. Le New Burlesque est la continuation et la réinterprétation d’un genre profondément enraciné dans la tradition du music-hall anglais et américain qui, en partant du strip-tease, y réintroduit le théâtre, la chorégraphie, le glamour, l’humour, la satire et le sens de l’excès.