French dream.
Ce qui est intéressant dans le nouveau film de Mathieu Amalric, c'est le désenchantement permanent qui l'habite. Tournée est traversé d'un bout à l'autre par la notion de chute, d'espoir brisé et de rêves envolés. Mais l'intelligence du film est de ne surtout pas s'y morfondre, de ne pas cultiver totalement cette idée d'un certain désespoir. Amalric enrobe son film d'un certain décalage, propose un univers plein d'humour qui toujours soutient les petits drames vécus par les protagonistes. Protagonistes que l'on divisera en deux parties, soit d'un côté les strip-teaseuses, presque impossibles à " individualiser " tant elles forment une entité complète et indissociable ( à une exception près ), et de l'autre celui qui prend toute la place, le producteur déchu interprété par un Mathieu Amalric au sommet.
D'un côté donc, les filles, débarquées des States, qui veulent voir Paris et la " grande vie française " mais qui n'auront droit qu'à la province et à ses cabarets qui sont à des kilomètres du Moulin-Rouge. Leur origine n'est pas un hasard, et Amalric opère un retournement du rêve américain en le remplaçant par une espèce de cauchemar français, relatif toutefois. De l'autre, et c'est peut-être là que le film gagne en intérêt, le producteur, jamais épargné, mais toujours attachant. Mathieu Amalric compose avec brio un homme déchu mais qui n'en conserve pas moins sa dignité, dont la beauté réside dans l'effacement de soi au profit d'une attention envers ceux à qui il porte de l'affection, qu'il s'agisse des filles ou de ses enfants. Et son côté attachant provient de son incapacité à les satisfaire, de ce décalage entre ses efforts constants et le résultat final de chacune des actions qu'il entreprend. Toujours, Amalric a l'air de faire des efforts pour pas grand-chose. Et l'autre beauté du film se trouve là justement, dans l'incapacité à atteindre le meilleur, parce que d'un autre côté ce qui touche en plein coeur c'est d'assister à cette tournée un peu foireuse, où la solidarité entre les êtres n'est jamais démentie. Peu importe la flacon donc, pourvu qu'on ait l'ivresse. Et cette ivresse, le film l'offre précisément, de par la générosité de ses actrices ( sublimes ), son humour si particulier, et son émotion dévastatrice, qui arrive dans certaines scènes, et quand on ne s'y attendait pas ( la séquence de la station-essence est certainement une des plus belles de l'année ). Amalric aurait presque pu choisir n'importe quel autre spectacle que le New Burlesque, l'important réside dans l'humanité de son oeuvre, l'amitié et l'amour palpables qu'il porte à ceux et celles qui l'entourent. Là où le film frappe aussi, c'est dans sa manière de ne pas dire certaines choses. Ici, quasiment pas de discours sur le physique des filles, pas de commentaires pompeux sur l'acceptation de soi. Amalric, au lieu de passer par des dialogues plombants, utilise les rapports entre les personnages et la mise en scène ( sa manière de filmer les corps ) pour " ne rien dire " de particulier. Très intelligent puisque parler de l'aspect physique des filles serait d'une certaine manière une façon de les discriminer.
Drôle, émouvant, d'une subtilité rare, Tournée n'a peut-être qu'un seul défaut qui serait sa durée un peu longue sur la fin. Mais le film est tellement généreux, splendide et original qu'on lui pardonne facilement. Un des films de l'année.