Oldboy version Spike Lee, c'est l'amérique dans toute sa vanité, toute sa morgue et tout son dégoûtant nationalisme idéologique (n'ayons pas peur des mots). Refusant que n'importe quel film étranger puisse lui faire de l'ombre, et en même temps tout à fait conscient que son public est bien trop fermé pour prendre la peine de considérer ce qui vient d'ailleurs (la boucle s'auto-entretient de façon désespérante), le cinoche amerlock s'évertue, comme l'ont déjà ici brillamment exposé certains, à "remaker" à tour de bras, massacrant sans gêne ce que des hommes de talent d'ici ou d'ailleurs produisent de mieux en matière de septième art. En tout points, le résultat est souvent désastreux, parfois si irrespectueux qu'il pourrait presque désacraliser l'original, mais le danger venimeux qu'il représente tient surtout au fait qu'il en prive certains, persuadés que le film d'origine ne leur apportera rien de plus, de quelque chose de bien supérieur. S'il était réellement brillant, le cinéma des majors américains ressemblerait en fait à ce cliché du premier de la classe boutonneux, accroché à ses lauriers et refusant que la maîtresse ne détourne son regard de lui. Quelque part, il est donc logique et conforme à cette éreintante manie prétentieuse que de confier le projet du remake d'Old Boy au terriblement suffisant Spike Lee, habituel porte-parole de la communauté afro-américaine, qui tente d'ailleurs d'insérer de force ses obsessions dans un univers où elles n'ont rien à faire, faisant rien que par ce biais de son film un objet salement raccommodé. Le reste est conforme aux attentes, copiant parfois plan par plan le chef-d'oeuvre de Chan-Wook, sans en comprendre la folie hallucinée, viscérale, d'un trivial subversif et bouleversant. Son seul mérite est de mettre en lumière ceux du génie coréen, en montrant à quel point il est malaisé de trouver l'équilibre qui lui valut le prix du Jury cannois en 2003. En montrant qu'un matériau de départ, si bon soit-il, est propice au meilleur comme, dans le cas présent, à un édifice plutôt plat et sans génie. Oldboy version américaine est aussi forcément un Oldboy plus puritain (relisez les mots précédents et rendez-vous compte du non-sens). Spike Lee me fait d'ailleurs doucement rire quand il tente de restituer la perversion du film coréen en transférant la part qu'en recelait le héros vers son nemesis, versant sans gêne dans un manichéisme stupide qui dénature complètement le matériau de base. Puis dans sa mise en scène sans âme, Lee semble simplement se gargariser de ce qu'il raconte, sans se rendre compte qu'il en perd non seulement l'essence mais aussi tout l'impact. Ce qui devaient forcément être les deux marqueurs principaux de la qualité du remake vont d'ailleurs dans ce sens : la violence graphique choque à peine, le combat au marteau, filmé comme un manche, laisse de marbre et n'inspire rien. Je passerai rapidement sur le grand-guignolesque de Samuel L. Jackson et de Sharlton Copley, ridicules à chaque instant. Elisabeth Olsen a d'autres arguments, se révélant la seule à inspirer un minimum d'émotions, au contraire de Josh Brolin, constamment à côté de la plaque. Plus buriné que jamais, l'acteur est dépassé par son rôle, et l'ombre de Choi Min-Sik qui plane très haut au-dessus de chaque plan n'arrange rien. Spike Lee répond au critiques en en appelant aux coupes exagérées de la production. Mais s'il pensait que répéter les mêmes erreurs pendant 80 minutes de plus l'aurait rendu convaincant, il se fourvoie royalement. Sans doute qu'en lui-même, ce Oldboy du cru 2013 (le dernier, ou je fais un malheur !) n'est pas mauvais. Mais pris dans son ensemble et compte tenu de ses buts, ce projet ne cesse de ressembler à une entreprise criminelle, un vol culturel dénué de scrupules. Ce que le film avoue d'ailleurs dans la désolante scène du poulpe, reprenant ce moment culte de l'original en mimant le processus de digestion filmique duquel il participe. Navrant. Mais malgré toute leur hauteur, les producteurs ricains ne me duperont pas, ne duperont personne qui soit réellement averti, d'ailleurs. Quelle satisfaction, quand même, qu'Oldboy ait été un bide commercial. On peut juste émettre quelques regrets pour les équipes du film et ceux de ses membres venus ici avec de réelles prétentions artistiques (un remake peut aussi se réapproprier une oeuvre, pas la prémâcher pour un public à dépouiller), parce qu'il y en a surement. En tout cas, Corée du Sud un, USA zéro, et un zéro avec mention.