En cette année bénie pour le film policier que fut 1995, Michael Mann, fin observateur de son temps et cinéaste visionnaire, réalisait son meilleur film, Heat. Un polar racé et mélancolique, portant à la fois la rage et le romantisme du Nouvel Hollywood, tout en condensant ce qu’était et ce que serait le cinéma des années 90. Une œuvre monstre, à la narration étonnante, qui prend son temps mais sait se montrer expéditive. Mais surtout une œuvre juste, dont les fondations essentielles sont des personnages nombreux et complexes, articulés autour d’un duo déjà entré dans la légende avant même que le film ne sorte. La mise en scène de Michael Mann, à la fois très instinctive dans sa façon de capter des séquences, et d’une précision démoniaque dans ses cadres et sa rythmique. La photographie métallique de Dante Spinotti, à son meilleur, bâtissant avec la mise en scène un personnage à part entière concernant la ville de Los Angeles. A ce titre, toute la science du réalisateur tient dans cette véritable personnification d’un environnement urbain, un exercice dans lequel il est un maître absolu. Cette science s’applique également à la gestion des différents espaces autant en terme de mise en scène que de découpage pur. Ainsi, la fameuse séquence du braquage de la banque, un des nombreux morceaux de bravoure du film, est un exemple parfait de compréhension de la topographie de la scène. En tant que spectateur, la position de chaque personnage, de chaque élément, la direction de chaque échange de tir, tient de l’évidence. Dans ce sens, Michael Mann se montre véritablement expert dans l’art de filmer l’action afin de provoquer une immersion totale du public sur le terrain, au milieu des balles qui sifflent et des chargeurs qui se vident. Et derrière cette fabuleuse mise en scène se cache un casting monstrueux : Robert de Niro, Al Pacino, Val Kilmer.. tous aussi colossaux dans leurs rôles. En clair, Heat est un monument du polar, qui dans sa composition lui rend le plus beau des hommages, l’enterre et lui offre une renaissance flamboyante, avec, pour la ponctuer, une des plus belles rencontres entre deux monstres sacrés que le cinéma ait proposé.