Qu'est-ce que la beauté? Repose-t-elle sur des critères objectifs ou bien chacun en a-t-il une idée personnelle, en particulier les artistes de l'image, cinéastes et photographes? Maria Victoria Menis a choisi une héroïne que l'on a, dès l'enfance, persuadée de sa "laideur". Gertrudis (Mirta Bogdasarian, admirable de sobriété) naît sur la passerelle du bateau qui amène ses parents, juifs russes fuyant les pogromes à la fin du 19e siècle, en Argentine. Silencieuse, secrète, s'arrangeant pour ne pas apparaître sur les photos scolaires ou familiales, elle se réfugie en elle-même, dans le rêve, l'imaginaire, l'amour de la nature et des fleurs. Mariée par ses parents à un veuf qui se méfie des belles femmes un peu trop volages, mère de famille nombreuse, Gertrudis poursuit sa vie terne et sans tendresse d'esclave domestique, jusqu'à l'arrivée d'un photographe français, Jean-Baptiste (Patrick Dell'Isola). Engagé dans le mouvement surréaliste, celui-ci sait voir au-delà de la surface des choses et derrière le visage ingrat, il déchiffre la poésie de l'âme et la fougue contenue des sentiments. Ces deux-là se comprennent sans se parler et un matin, le fils aîné constate que sa mère n'a pas desservi la table du dîner et que la porte est grande ouverte... Cette histoire est une jolie fable et l'on aimerait croire que l'apparence n'est pas un absolu et qu'il existe vraiment des hommes capables de s'intéresser à la "beauté intérieure" d'une femme, mais... Il reste le vibrant hommage de la cinéaste à ceux qui savent poser sur le monde un regard différent et le plaisir des images délectables que nous offre sa caméra : un ouvrage de couture abandonné sur une table, un parterre de fleurs, un coucher de soleil sur la rivière, les photos de Jean-Baptiste ou un gros plan sur des yeux attentifs. Il reste un film doux-amer, qu'il convient de savoir réellement "regarder"!