"Cabin in the Sky" produit par Arthur Freed et réalisé en 1943 par Vincente Minnelli montrait une rupture évidente avec les réalisations du genre, dominées par Busby Berley. Construites autour de spectaculaires numéro de music hall, sans lien avec les intrigues mal scénarisées, se passant dans les coulisses mais sans véritable mise en abime. En intégrant pleinement chants et danses dans l’évolution de l’histoire, les numéros gratuits et boursouflés semblent subitement d’un autre âge. "Meet Me in St. Louis" les range définitivement au musée. Et pourtant à partir d’une intrigue du niveau roman photo, le tandem Freed-Minnelli offrira un chef d’œuvre (1). En 1944, la société américaine qui vit souvent douloureusement la séparation des boys partis les uns vers l’Atlantique et la Méditerranée, les autres vers le Pacifique, fait un triomphe à l’histoire de cette famille unie et implantée à St. Louis, portant le nom banal et symbolique de Smith. Inspiré des souvenirs de Sally Benson, c’est au travers du regard de cette petite fille fascinée par la mort, que chaque personnagesest analysé avec finesse et interprété par un casting soigneusement choisi, dominé par Margaret O’Brien (Tootie, la petite fille) et surtout l’éblouissante Judy Garland, si amoureusement filmée par son futur mari. Premier film qu’il réalisa en technicolor, Minnelli écouta peu Natalie Kalmus la conseillère de ce procédé. Se fiant à son flair (il fut costumier, décorateur puis réalisateur à Broadway) il construit avec talent une suite de tableaux merveilleusements colorès et photographiés avec des mouvements de caméra élégants, d’une fluidité caressante pour le regard. Dans cette féérie, chaque nuance, chaque ton est visuellement représentatif de chaque personnage, de chaque situation. Une analyse colorimétrique du film montrerait a quel point le cinéaste est un artiste à part entière. Amoureux et influencé par les impresionistes il entre parmis les plus grands coloristes du cinéma, où « Meet me in St Louis » le place d’entrée au sommet. Musicalement, si les tubes ne manquent pas, de "Meet Me in St. Louis" que grand père et ses petites filles interprètent au début, jusqu’au sublime "Have Yourself” a “Merry Little Christmas" en passant par "The Boy Next Door" et le nominé "The Trolley Song" (pourtant musicalement un des plus faibles, même s’il accompagne une importante séquence dramatique), ils s’intègrent parfaitement à l’intrigue. Moments de grâce entre des scènes parfois surprenantes, comme lorsque Tootie apeurée va assumer seule un défi « Halloween » dans le vent glacial, annonciateur des funestes nuits neigeuses de la saison à venir. Théâtre de la destruction des bonhommes de neige qu’elle ne pourra emmener vers cette destination étrangère au bonheur (New York), choisie par son père qui n’y voit qu’une évolution sociale, au grand dam du reste de la famille. Dans cette construction Vivaldienne en quatre mouvements dont les tonalités de la chronologie sont reprises, tout Minnelli est déjà présent. Le piège social (voire sociétal), avec ce grand projet désiré par le chef (ici de famille) qui se retourne contre lui par la désapprobation de son entourage, introduction aux futurs décors qui se retourneront contre leur géniteur, comme, par exemple, dans “The Band Wagon” (« Tous en scène »). L’aspiration de réaliser les rêves dans une réalité qui s’en trouve transcendée. L’imagination créatrice de cet immense artiste se matérialise avec une qualité superlative, magnifiée par une élégance inimitable. "Meet Me in St. Louis" est la première étoile d’une œuvre cinématographique des plus importantes à ce jour.
(1) "Ce pourrait être une bluette affligeante, c’est admirable…Minnelli a déjà maîtrisé ce qui va devenir l’essence de son style, la capacité à transcender le quotidien en un univers merveilleux" – Alain Paucard dans Le Guide des films de Jean Tulard – Robert Laffont