Inédit dans le circuit commercial des salles françaises jusqu’en 2009, «Lettre à la prison» (France, 1969) de Marc Scialom affiche le paradoxe de s’être entendu dire, à l’époque de sa production, qu’il n’était pas assez politique. S’il faut instituer un monde soumis à une dialectique manichéenne, à l’instar de Ken Loach, alors non, Scialom n’est pas politique. Mais le politique n’est pas qu’affaire de lutte sociale, il concerne aussi les rapports de territoire et de glissement culturel. Bien sûr, tout concerne le politique, «les affaires publiques» comme l’entend Aristote. «Lettre à la prison», dans ses allers et retours entre des pensées intimes et la place publique dans laquelle elles émergent, concerne directement le politique. Sa première forme s’accomplit dans LA politique. Du glissement du corps et de la pensée d’un Tunisien dans la France de Marseille, puis dans l’imaginaire de Paris, se révèle une image de l’immigration française. Le protagoniste est le premier à se fourvoyer dans l’unité de l’identité. N’être qu’arabe, que français, qu’un chien. Pourtant le film, dans la complexité de ses montages, de ses escamotages d’images et de pistes sonores, construit une figure hybride de l’identité. Il n’y a pas de Tunisien, il n’y a pas de Français. Il n’y a que des corps qui existent sur un territoire et dans une durée. Scialom affirme, ce qu’Hannah Ardent considérait comme une catégorie esthétique, le régime de l’immigration. Cet homme qui se rend en France pour venir au secours de son frère, jugé d’un crime à Paris, permet à Scialom de capter les questions d’identité nationale. Au temps de l’Europe naissante, de la «nouvelle société» de Giscard, des Airbus nouveaux, Scialom perçoit les horizons de l’intérieur le plus intime de l’individu. En invoquant, on a pu lire Buñuel et Vigo, mais aussi Godard, Scialom propose un dialogue en murmure entre le dehors du monde et un intérieur, qu’il soit psychique (avec les pensées) ou sociale (avec les prisons).