Claude Miller explique ainsi la génèse de son projet : "L'envie est née en voyant "Block Party" de Michel Gondry, documentaire sur un concert donné à New York. Je me suis rendu compte à quel point j'aimais cette tradition des marching bands. Mais je me disais en même temps que ce n'était pas vraiment un sujet de film. Quand la campagne pour les élections présidentielles amériacines a commencé, j'ai eu l'idée de donner la parole à ces jeunes gens composant les marching bands et de leur demander de se positionner par rapport à cet évènement qu'ils étaient en train de vivre." Interview intéressante, car elle résume parfaitement les causes du relatif échec de ce projet.
Première affirmation : les marching bands ne forment pas à eux seuls un sujet de film. Première contestation : si on n'essaie même pas, il y a peu de chance qu'on puisse effectivement réussir à en faire un ; et justement, c'est l'impression que m'a laissée la vision de ce documentaire : on voit des moments de la vie des fanfares (la photo officielle, les répétitions, un match de football US universitaire). mais si on compare à un documentaire récent sur la vie d'une formation musicale, "I feel good", il y manque tout ce qui fait la vie d'un groupe : les espoirs liés au projet, les doutes, les choix difficiles du chef, la rencontre des publics. Paradoxalement, on ne voit jamais ces marching bands défiler !
On devine -et on ne peut que deviner - qu'une formation de 260 membres répéte surtout par pupitres ; on assiste à un charriage d'une joueuse de piccolo par un mastodonte engoncé dans un tuba. Mais ces rapports entre les différentes composantes de la formation (sans parler des cheerleaders) qui peuvent faire penser à l'opposition entre pack et lignes arrières dans une équipe de rugby ne sont qu'effleurés. De même, rien ne nous est dit sur la dimension chorégraphique essentielle de ces groupes ; on interviewe un cadre du band d'UVA et le chef de celui de VSU, mais plus pour les faire parler d'Obama que de la complexité de leur travail.
Deuxième affirmation : donner la parole à ces jeunes et leur demander de se positionner. Ca, ça a été fait; et ça se voit : interview mises en scène de certains membres dans leur ravissant costume, croisement entre celui d'un cadet de West Point, d'un mousquetaire et d'une majorette. Malheureusement, ce qu'ils racontent n'a rien de très passionnant, et on a l'impression de l'avoir vu une bonne centaine de fois en novembre dernier dans les nombreux reportages. Ils sont plus émouvants quand ils parlent de leur appartenance à ce band ("Je fais partie de quelque chose de plus grand que moi", ou "Sans la musique, je pense que je serais en prison") que quand ils dissertent pesamment sur la signification du mot changement.
Claude Miller n'a pas casté les bons personnages, ou bien il n'a pas été capable de trouver un angle d'attaque supplémentaire pour faire le lien entre ses deux sujets. Mon avis est d'ailleurs qu'il aurait sans doute mieux atteint le deuxième en se concentrant sur le premier ; quand sur la photo au premier plan il y a deux noirs (pardon, afro-américains) d'un côté et deux blancs (pardon, caucasiens) de l'autre et que spontanément, l'un dit "faut alterner", cela nous en dit sans doute plus que les interviews figées et téléguidées.
Et puis, étrange choix de distribution que de sortir ce film juste au moment où s'achève l'état de grâce d'Obama, condamné à monter un sommet de la bière pour rattraper son commentaire sur le racisme dans la police. Si "Marching Mand" offrait un point de vue novateur et pertinent (ou impertinent) sur l'élection du premier président noir, ce décalage temporel trouverait sa justification. Faute de cette vision innovante, on a juste l'impression d'une rediffusion estivale d'"Envoyé Spécial".
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